Tribune

Faire, et pas seulement consommer

Par Jacques Attali · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2019 - 517 mots

Partout dans le monde, le marché des instruments de musique explose aujourd’hui. De plus en plus de gens en achètent, neufs ou d’occasion ; on estime même que ce marché atteindra 18 milliards de dollars en 2021 et qu’il continuera de croître de plus de 9 % par an les années suivantes.

Cette industrie se développe partout dans le monde, aux États-Unis comme en Chine. Et elle continue d’être florissante en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France, où se trouvent encore quelques-uns des plus fameux fabricants d’instruments des derniers siècles. Certains de ces facteurs de piano, d’orgue, de violon, de guitare, et de tant d’autres instruments étaient même, dans le passé – et sont encore – de grands artistes. Leurs œuvres valent encore, pour certaines, plusieurs dizaines de millions d’euros. D’autres instruments sont apparus plus récemment, digitaux ou non, et constituent de nouveaux marchés.

Cette industrie n’est qu’une partie des industries artistiques. Il faut y ajouter les fabricants de crayons, de pinceaux, de papier à dessin de tubes de peinture, d’outils de sculpture, de gravure, d’appareils de photos, et de tout ce qui est utile aux innombrables autres métiers d’art.

On pourrait aussi étendre plus encore le domaine de l’art : après tout, la gastronomie, par exemple, en fait partie, et on pourrait ranger parmi les outils de l’art, les instruments de cuisine. Et valoriser le fait de faire soi-même la cuisine, de se nourrir de ses propres productions, et pas d’une nourriture industrielle.

Il est certain que ces marchés sont promis à un très grand avenir. D’abord parce que ces activités se développent avec la croissance économique des pays émergents, qui poussent les nouvelles classes moyennes d’Europe de l’Est, de Russie, de Chine, d’Amérique latine et d’Afrique vers ce genre d’activité. Ensuite, parce que, partout dans le monde, le désir de liberté devient un désir de se trouver, de s’exprimer, de pratiquer l’art, de produire des œuvres, et pas seulement d’être des spectateurs, des consommateurs.

Et pourtant, ces producteurs ne sont pas valorisés. Personne ne pense vraiment à glorifier ces entrepreneurs, ni à protéger ces firmes centenaires, ni à favoriser la naissance de nouvelles. S’il est à la mode de parler des créations d’entreprises dans des domaines de pointe, il devrait être aussi valorisant d’encourager au développement des outils de l’économie artistique.

On peut même rêver d’une société où l’art serait une activité économique essentielle ; où les femmes et les hommes auraient compris que faire un usage créatif du temps, et fabriquer les meilleurs instruments pour cela, conduirait à une forme idéale de société.

Cela viendra peut-être un jour. Quand on aura fait le tour d’une société folle, autodestructrice, qui nous enferme tous, chacun, dans une terrible solitude, dans un néant mesquin, dans une consommation industrielle désastreuse, qui détruit la nature et transforme l’être humain en un artefact. Quand une révolution positive nous aura fait comprendre que rien ne vaut la prise de contrôle de chaque seconde de notre temps, l’exploration de notre sensibilité et de tout ce qui peut nous fournir la preuve que nous sommes vivants, et que l’humanité mérite de poursuivre sa route.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°526 du 21 juin 2019, avec le titre suivant : Faire, et pas seulement consommer

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