En M(art)che

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 23 mai 2017 - 669 mots

En M(art)che -  Il est peu de dire que tout nouveau président de la République élu suscite des attentes. Emmanuel Macron peut-être plus qu’un autre, qui promet de recomposer une géographie politique dont personne, aujourd’hui, ne connaît véritablement les contours. Des attentes, donc, et, du côté de la culture, l’espoir de voir enfin revenir au pouvoir un grand président culturel, si nécessaire au ciment d’un imaginaire que l’on veut collectif. L’ancien ministre de l’Économie a lui-même habilement travaillé cette image durant son ascension fulgurante, l’image d’un jeune homme qui se place tel un Platon dans les pas de Socrate, dans la filiation du philosophe Paul Ricœur, duquel il a été proche jusqu’à sa disparition en 2005. « J’ai beaucoup appris auprès de lui, et notamment à lire la philosophie », a dit l’ancien étudiant qui a consacré son mémoire de maîtrise à Machiavel. Comme le souligne le journal L’Opinion, le nouveau président a pris soin de distiller tout au long de sa campagne des références littéraires, truffant ses discours d’évocations ou de citations de Diderot, Hugo, Rimbaud, Gide, Char, Camus, Duras… À L’Obs, qui l’interroge sur sa vocation, celui-ci répond même qu’elle était, adolescent, de devenir écrivain : « Confidence pour confidence, souffle-t-il au journal, j’ai écrit [trois] romans et aussi des poèmes… » « C’est un président cultivé dans la tradition d’un Georges Pompidou, un grand président pétri de littérature et de philosophie », juge ainsi sur TV5 Monde Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture et soutien (MoDem) de Macron. D’ailleurs, qui ne sait pas que Brigitte Trogneux, qui deviendra Brigitte Macron, repère le jeune Emmanuel dans une pièce de Milan Kundera, avant de lui faire jouer Jean Tardieu ? Le théâtre donc, dont la spécialiste Joëlle Gayot voit l’influence dans les premiers pas que le président fraîchement élu réalisait au Louvre le soir du second tour : « Emmanuel Macron a quitté les coulisses pour se présenter au public en orchestrant à la perfection les modalités de son apparition. Il a soigné son arrivée jusqu’à la rendre digne d’un spectacle du répertoire de la Comédie-Française. » Mais le futur président a compris qu’il devait, pour séduire, dépasser les frontières de la seule République des lettres ! Les musiciens se sont donc félicités d’apprendre que Macron avait pratiqué le piano durant dix ans, obtenant même un troisième prix au conservatoire d’Amiens. Ainsi l’amateur de piano n’a-t-il pas peur, certes sur un site Internet spécialisé (classiquenews.com), de clamer son admiration pour la musique « élitiste » – « Ce ne sont pas la musique classique ou l’art lyrique qui sont élitistes : ce sont les usages que nous en avons faits », corrige Macron – : Rossini (« qui a sorti l’opéra de son carcan en offrant une liberté nouvelle à la voix »), Bach (« indéfinissable et génial »), Schumann et Liszt, « cet Européen majeur, moderne résolu ancré dans la grande tradition ». Car la politique n’est jamais loin, même quand on parle de littérature, de musique ou d’arts plastiques. Si les références aux arts visuels sont rares chez Macron, il convoque tout de même Picasso (peintre qu’il dit apprécier) et Chagall lorsqu’il se retrouve au cœur d’une polémique stérile sur la culture française, et cite cette phrase de Brâncusi : « En art, il n’y a pas d’étrangers. » Et puis, il y a le Musée du Louvre, « ce lieu parcouru par notre histoire, de l’Ancien Régime à la Libération de Paris, de la Révolution française à l’audace de cette pyramide » de Pei, devant lequel le président déclame – avec opportunisme puisque la Mairie de Paris avait refusé d’ouvrir le champ-de-Mars au rassemblement – son discours de la victoire.Un symbole !Dans une tribune au Monde, Éric-Emmanuel Schmitt exhorte Emmanuel Macron à être « un président littéraire ». « Soyez-le sans honte, Monsieur Macron, avec éclat. En étant un président littéraire, vous serez le président de tous », écrit l’académicien Goncourt. Monsieur Macron, n’écoutez pas Éric-Emmanuel Schmitt. Ne soyez pas le président des belles-lettres, soyez-le de la littérature, de la musique, de la danse, des arts plastiques… Soyez le président des artistes, de tous les arts et de leur harmonie !

Rédacteur en chef fsimode@artclair.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°702 du 1 juin 2017, avec le titre suivant : En M(art)che

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