Actualité de la recherche - Elisabeth Spettel

Double jeu de la subversion : entre dadaïsme et surréalisme

Le Journal des Arts

Le 27 février 2013 - 790 mots

« Que nul n’entre ici s’il n’est subversif ! » (1) Cette maxime, Michel Onfray l’imagine sur le frontispice d’un temple à l’époque où Diogène déambulait à moitié nu dans les rues d’Athènes et défiait toute convention sur le mode de la provocation. Elle pourrait être également la devise de certains centres d’art contemporain qui exposent des œuvres de plus en plus transgressives.

Ce caractère subversif a été souligné par un grand nombre de théoriciens : Yves Michaud, Rainer Rochlitz ou encore Nathalie Heinich. Cependant, celui-ci n’est pas un fait propre à l’art contemporain mais apparaît déjà dans le dadaïsme et le surréalisme. Ces mouvements marquent une rupture dans l’histoire de l’art. Dada apparaît comme une « révolte nécessaire » en pleine première guerre mondiale. La subversion constitue un principe artistique à part entière : « au-delà des codes de la représentation, des normes du goût, de l’impératif de figuration, c’est la notion même de création qui se trouve transgressée (2) ». Cette force critique est également très présente chez les surréalistes. À travers leurs innovations plastiques et leur engagement politique, ils font de la subversion « une ligne de construction » du mouvement. Or, nous retrouvons cette volonté insatiable de se libérer des règles oppressantes et de choquer dans un grand nombre d’œuvres contemporaines occidentales. Celles-ci réexploitent des sujets et des formes déjà présents chez leurs aînés. Il s’agit de l’anticléricalisme, l’opposition politique, l’offense à la morale ou encore la contestation des normes sexuelles sur le plan thématique et du collage, des objets et installations sur le plan des médiums et techniques. Cette thèse étudie l’héritage de la subversion dadaïste et surréaliste dans l’art contemporain à partir du début des années 1990. Elle souligne les correspondances et les différences dues notamment au changement de contexte politique. En effet, la « chute des idéologies » a supplanté la foi dans les « grands récits » modernes. L’analyse d’œuvres d’Hannah Höch, Max Ernst, Maurizio Cattelan ou encore Philippe Ramette permet d’envisager différents types de subversions. En effet, la subversion se définit et se redéfinit sans cesse en fonction des règles et normes d’une société. Après avoir analysé la subversion sous l’angle de la destruction, elle examine comment les ruines de la tabula rasa « constituent à leur tour une construction ». Enfin, elle se penche sur certains types de subversions qui peuvent se renverser en conventions. Du latin subvertere signifiant renverser et détruire, la subversion désigne « le bouleversement de l’ordre établi, des idées et des valeurs reçues ». Ce concept, proche des notions de « transgression » et de « provocation », s’en distingue toutefois. La transgression désigne la violation d’une règle, d’une loi. Alors que le préfixe trans- insiste sur le passage de l’autre côté d’une frontière, sub- révèle un sapement des fondations, une action qui peut être souterraine quoique violente. Enfin, la provocation (du latin pro « en avant » et vocare « appeler ») répond davantage à une volonté d’exhibitionnisme pour attirer le regard. Ainsi, la transgression peut être soit provocante, soit subversive, ou bien les deux. Néanmoins, la subversion n’est pas nécessairement provocante et la provocation n’est pas nécessairement subversive. Lorsqu’elle emprunte la logique d’une provocation gratuite, la subversion ne risque-t-elle pas de se renverser contre sa propre nature et de devenir paradoxalement une norme ? En revanche, une transgression qui dépasse des frontières dans le but de créer de nouvelles idées et formes n’est-elle pas celle qui interroge véritablement le regard et la conscience du spectateur ? Il y aurait ainsi une érotique de la subversion qui met à mal nos habitudes de pensée et de regard sans jamais violer l’ultime limite. Comme le souligne Georges Bataille dans L’Érotisme, « Qu’il est doux de rester dans le désir d’excéder, sans aller jusqu’au bout, sans faire le pas. Qu’il est doux de rester longtemps devant l’objet de ce désir, de nous maintenir en vie dans le désir, au lieu de mourir en allant jusqu’au bout. »

(1) Michel Onfray, Cynismes, éd. Lgf, 1997.
(2) Nathalie Heinich, Le triple jeu de l’art contemporain : sociologie des arts plastiques, Paris, Les Éditions de Minuit, 1998, p. 24.

Pour rendre compte de l’actualité de la recherche universitaire, Le Journal des Arts ouvre ses colonnes aux jeunes chercheurs en publiant régulièrement des résumés de thèse de doctorat ou de mémoire de master (spécialité histoire de l’art et archéologie, arts plastiques, photographie, esthétique). Les étudiants interessés feront parvenir au journal leur texte d’une longueur maximale de 4 500 caractères (à adresser à Jean-Christophe Castelain, directeur de la rédaction, et Françoise Savatier, secrétaire de rédaction : fsavatier@artclair.com). Nous publions cette quinzaine le texte d’Élisabeth Spettel qui prépare sa thèse, sous la direction de Pierre Sauvanet (Bordeaux III) et de Miguel Egana (Paris I).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Double jeu de la subversion : entre dadaïsme et surréalisme

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