De la matérialité à la sacralité : le trésor de la cathédrale de Narbonne sous l’Ancien Régime

Par Hélène Coulaud · Le Journal des Arts

Le 3 septembre 2014 - 752 mots

La cathédrale gothique de Narbonne, construite à partir de 1270, est le siège du dernier archevêché français avant la frontière espagnole, à la tête de l’antique province de la Narbonnaise Première.

Ces deux singularités prestigieuses rejaillissent sur son trésor. Depuis quelques décennies, le trésor d’église est davantage conçu dans sa globalité et en rapport avec son contexte, grâce à la collaboration de nombreuses disciplines. Ce travail profite des fruits de ces réflexions et explore des champs de recherche encore naissants, pour conférer au trésor toute sa densité historique, spatiale et esthétique. Ce dernier est étudié du XIIe siècle, où le chapitre est sécularisé, à 1793, année de sa dispersion et de la suppression de l’archevêché.

Deux périodes fastes ressortent très nettement : le bas Moyen Âge, qui suit la construction de l’édifice gothique, et l’époque tridentine. Cette immersion dans l’histoire du trésor de Saint-Just s’articule en trois parties : l’étude des modalités de sa constitution pendant ces six siècles, sa vie en coulisses et sa présence sur la scène du sacré.

Les objets de valeur modeste sont ordinairement achetés auprès d’artisans. Les pièces précieuses arrivent à Saint-Just dans le cadre du droit d’entrée (qui contraint prélats et chanoines à offrir respectivement une chapelle complète ou un pluvial solennel à leur arrivée) ou par voie de donation. Les donateurs viennent pour la plupart du haut clergé de Saint-Just, comme le cardinal de La Jugie. La présence, fortuite, des chairs de Philippe III a valu à la primatiale le don d’une chasuble par la reine Blanche de Navarre et très certainement celui du parement conservé au Musée du Louvre (1). Ce ballet cadencé d’arrivées est pondéré par celui des sorties de pièces, fondues pour être transformées, cédées à la royauté aux abois ou redistribuées à des paroisses sous la tutelle du chapitre. Les coulisses dédiées au trésor (2) se concentrent au sud de l’édifice. Il y a tout d’abord le « binôme du maître-autel », datant de 1280 environ. Situé sur le bas-côté, à proximité de l’entrée du sanctuaire et du chœur liturgique, il est constitué du sacraire du grand autel et du Sacraire. Le premier conserve les objets du culte quotidien du maître-autel. Il est aussi un sas de sécurité, puisqu’on n’accède au Sacraire qu’en le traversant. Le Sacraire est la chambre forte du trésor (3) : les objets du grand autel pour les grands jours de fêtes, les reliquaires et les archives prestigieuses du chapitre y sont enfermés.

Il y a également la grande sacristie, construite à partir de 1329, au sud-est de la primatiale. C’est la sacristie des chapelles, pour le culte quotidien et festif. En 1707, la chapelle de l’Annonciade est transformée en sacristie réservée aux chanoines, afin de diminuer les tumultes dans la grande sacristie avec les bénéficiers. Les objets sont inspectés régulièrement par le personnel dédié à leur garde. Faute d’argent, ceux d’usage quotidien et les reliquaires peu exposés ne sont pas bien entretenus. Tous les objets ordinaires sont modestes. Tentures et courtines sobres décorent le chœur et le maître-autel en permanence et contribuent à en signaler la prééminence sur les chapelles, même au quotidien. Les jours de fêtes sont plus marqués dans celles-ci, mais c’est dans le sanctuaire et le chœur canonial que le faste se fait le plus éclatant. Tapisseries historiées (4), ornements aux broderies chatoyantes, orfèvrerie et livres raffinés envahissent cet espace clos que les fidèles ont bien du mal à voir. Les reliquaires sont alors tous exposés sur le maître-autel. Certains sont portés en procession dans toute la cité, notamment ceux où reposent les ossements des saints Just et Pasteur, patrons de la cathédrale. À l’époque tridentine, le culte du Saint-Sacrement est d’une insigne ferveur : un superbe ostensoir de plus de deux mètres de haut est considérablement enrichi en 1679 pour signifier cette dévotion.

Une grille d’études renouvelée du trésor de cathédrale est donc proposée dans ce travail. La vie du trésor, faite de contrastes entre les coulisses et la scène liturgique, y apparaît dans toute sa réalité, c’est-à-dire dans sa trivialité et sa splendeur.

Notes

(1) Un article dans la Revue des musées nationaux est en cours d’élaboration sur la découverte de l’appartenance de cette pièce au trésor de Saint-Just.
(2) L’étude de la gestion du trésor par le chapitre et de sa conservation au quotidien n’a pu être abordée ici.
(3) Voir ill. 1 : porte du Sacraire.
(4) Voir ill. 2 : la Création du monde (début XVIe siècle), offerte par Mgr Fouquet en 1673, dans un ensemble de dix pièces.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : De la matérialité à la sacralité : le trésor de la cathédrale de Narbonne sous l’Ancien Régime

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