De A.W. à A.W.

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2015 - 552 mots

Il n’y a pas que les initiales de leurs noms pour les rapprocher, les chats aussi. Andy Warhol vivait avec des chats Siamois, Ai Weiwei travaille dans son atelier entouré d’une trentaine de chats et aime observer qu’un seul réussit le prodige de sauter sur la poignée d’une porte pour l’ouvrir.

Il faut une exposition, annoncée comme un événement à Melbourne, pour, à travers 300 œuvres, oser d’autres rapprochements entre « deux des artistes les plus significatifs des XXe et XXIe siècles », pour « chercher des parallèles et des intersections, pour mesurer leurs influences sur la vie moderne et contemporaine ». Le premier symboliserait l’Amérique triomphante du XXe siècle, le second la Chine en marche vers le triomphe au siècle suivant, l’un l’ère de l’industrie et de la consommation, l’autre celle des réseaux numériques. « Deux figures exemplaires » pour la National Gallery of Victoria qui, en fait, les instrumentalise au service d’une exposition star-system, bien commerciale.

Une Factory à New York et la cour qui la peuplait, un immense atelier à Pékin, ses chats et ses dévoués assistants : Andy Warhol et Ai Weiwei se ressemblent, tous deux agissant comme des gourous sur des entourages très réceptifs. La comparaison peut devenir fallacieuse : les deux artistes ont des champs d’intérêt et des pratiques qui les séparent. Avec ses « Campbell’s Soup Cans », ses « Brillo Box » et d’autres icônes, qui seront une fois de plus montrées en Australie, Warhol utilisait et se jouait de la société de consommation. S’il s’emparait de Mao, il s’amusait de la figure publique, en livrant un portrait sucré du dictateur. S’il provoquait, c’est par dérision, pas pour s’afficher a posteriori comme victime. Contrairement à d’autres artistes pop, il ne s’est pas engagé contre la guerre au Vietnam. À l’opposé, Ai Weiwei est, en premier lieu, un militant, qui a le courage et la posture de dénoncer : la corruption dans son pays, cause notamment d’une catastrophe meurtrière lors d’un séisme en 2008 dans le Sichuan, le trafic des antiquités… place Tian’anmen, il se photographie en faisant un doigt d’honneur à Mao.

Très conscient et virtuose de l’utilisation des réseaux sociaux, il vient de dénoncer urbi et orbi une nouvelle discrimination, celle opérée par Lego. Il voulait créer à Melbourne une réplique de l’installation proposée au pénitencier d’Alcatraz l’an dernier : près de 180 portraits de prisonniers d’opinion, en Lego. La firme danoise a refusé de lui livrer les milliers de briques commandées au motif « qu’elle ne peut accepter leur utilisation pour des projets politiques ». Elle refusait donc simplement de collaborer avec Ai Weiwei, mais celui-ci, bien malin, a joué sur les mots et crie à la censure. La pièce sera quand même jouée grâce à l’envoi de briques par des internautes donateurs, heureux d’agir comme des résistants à la censure capitaliste. Et du fait de cette polémique, l’exposition dispose d’un buzz mobilisateur, ce qui compte au premier chef pour Melbourne, car pour le musée une seule raison rassemble les deux « A.W. » : ce sont deux vedettes. L’une du siècle passé et de l’actuel, mais l’autre le restera-t-elle au fil du XXIe ? « À l’avenir, chacun sera célèbre mondialement pendant 15 minutes. » L’aphorisme est d’Andy.

« Andy Warhol/Ai Weiwei »

Melbourne, National Gallery of Victoria, 11 décembre-24 avril 2016.

Légende photo

Capture d'écran du site de l'exposition « Andy Warhol/Ai Weiwei » Melbourne, National Gallery of Victoria

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : De A.W. à A.W.

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