Critique, critiquable

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 18 novembre 2014 - 718 mots

Critique 
Le Centre Pompidou commet sans doute une erreur en programmant ce mois-ci l’exposition Jeff Koons. Non pas en lui accordant une rétrospective (la première en France), mais en pensant que la réception par le public d’une exposition de l’artiste américain sera, à Paris, nécessairement positive en matière de fréquentation, de vente de produits dérivés, de buzz… La France n’est pas les États-Unis et la conception que l’on s’y fait de l’art n’est assurément pas celle que M. Koons a défendue au Collège de France le 30 octobre dernier dans le cadre du colloque sur « La fabrique de la peinture ». De ce côté-ci de l’Atlantique, l’art est une affaire sérieuse, et l’on ne saurait prétendre être artiste en produisant d’immenses Rabbits, Bunnies, Puppies et autres « chiens ballons » dont les couleurs acidulées flatteraient le seul principe de plaisir ! Pas plus que l’on ne saurait prétendre faire de l’art en sous-traitant l’exécution de ses idées à des dizaines d’assistants sans ne jamais toucher l’œuvre ! Bien entendu, les choses ne sont pas aussi simples que cela, comme le montre notre enquête sur les ateliers XXL. « L’art de Koons , écrit le directeur du musée national dans le catalogue de l’exposition, est complexe. Plus, il ne cesse de nous mettre face à nos contradictions. » Tendre vers le degré zéro de la pensée critique serait donc une stratégie pour celui qui « se rêve en artiste pour les masses ». Nous voilà donc soulagés : Koons poursuit bel et bien un « projet » et ne saurait se satisfaire de reproduire en grand des jouets pour enfants… En doutions-nous ? En réalité non. Car, n’en déplaise à ses détracteurs – ceux que le directeur du Mnam appelle, avec un brin de condescendance, « les tenants de l’orthodoxie critique » –, on ne reste pas trente-cinq ans à sa place sur un simple malentendu. Jeff Koons est bel et bien un artiste, qui a été formé dans une école d’art, reconnu par le système (institutions, critiques, collectionneurs et public) avec ce qu’il faut de réprobation critique – Rosalind E. Krauss jugeait en 1991 son travail « répugnant ». Alors oui, le Centre Pompidou devait programmer cette exposition, non pas pour faire du chiffre, mais pour rappeler, à ceux pour lesquels la reconnaissance de Koons est due au soutien d’une poignée
de collectionneurs-spéculateurs, que Jeff Koons faisait du Jeff Koons longtemps avant que ses œuvres se vendent plusieurs millions de dollars. Et, surtout, pour donner une fois pour toutes l’occasion à chaque visiteur de se faire enfin une opinion critique sur le travail de ce dernier. Car si la question de savoir si oui ou non Jeff Koons est un artiste ne devrait pas se poser, il n’est en revanche pas interdit de s’interroger sur la qualité, la pertinence, de son œuvre. Jeff Koons est-il le grand artiste que d’aucuns prétendent ? La réponse se trouve au Centre Pompidou.

Critiquable
Faut-il revenir sur l’affaire Paul McCarthy ? Samedi 18 octobre, l’Américain provocateur jetait l’éponge, décidant de ne pas réinstaller sa sculpture gonflable sur la place Vendôme après avoir été physiquement agressé et vu son travail vandalisé. Les réactions étaient unanimes pour dénoncer ces actes intolérables. Dans le même temps, une partie d’Internet s’enflammait pour dénoncer les dérives communautaires et financières de l’art contemporain : « De la merde », « Pauvre France », « Ça a coûté combien cette connerie ? », « On nous prend pour des cons », lisait-on sur le web. Et ces commentaires furent renouvelés quelques jours plus tard pour dénoncer l’ouverture de la Fondation Vuitton à Paris. Le sextoy déguisé en sapin de Noël de McCarthy ne représenterait que ce que l’art contemporain pense du « peuple » ; quant au bâtiment de Frank Gehry, il symboliserait la décadence du pays… Si l’on peut se féliciter que ces deux « événements » aient suscité des réactions, il faut regretter le faible niveau du débat. Il aurait davantage fallu interroger les qualités plastiques (très faibles, sinon médiocres) de l’œuvre de McCarthy ; questionner le pouvoir de subversion de l’art dans nos sociétés numériques ; s’interroger sur le sens public d’une fondation qui, après avoir bénéficié des dispositifs d’optimisation fiscale, fixe son ticket d’entrée à 14 euros… Bref, élever le débat. Et faire grandir l’art.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : Critique, critiquable

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