Musée

La chronique d'Emmanuel Fessy

Centre Pompidou, l’autre hypothèse

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 6 juillet 2016 - 697 mots

PARIS

En déménageant la BPI, le Musée national d’art moderne disposerait de plus de 10 000 mètres carrés supplémentaires pour déployer amplement ses collections

En ouvrant la « Switch House », la Tate Modern, à Londres, a résolu, au moins temporairement, la question posée à tout musée d’art moderne et contemporain d’envergure internationale : comment faire face à un accroissement de ses collections. Depuis des années, le Centre Pompidou débat de cet enjeu, sans que l’État ne lui donne les moyens d’une solution. L’extension des surfaces attribuées au Musée national d’art moderne (Mnam, 12 210 mètres carrés depuis les travaux de 1997-2000) ; les projets ou réalisations organisées hors les murs comme le Centre Pompidou-Metz ; le renouvellement désormais régulier de l’accrochage de la collection ne suffisent pas. L’« OPA » lancée sur 7 000 mètres carrés du Palais de Tokyo a échoué.

Pour contourner un budget d’acquisition insuffisant, le Mnam doit susciter des donations. Sa nouvelle présentation des collections contemporaines, « Cher(es ami(e)s » rend, du reste, hommage à ses donateurs récents, français et étrangers, tant dans les arts visuels que dans le design. Un couple new-yorkais, Thea Westreich Wagner et Ethan Wagner, a signé une promesse de don de 350 œuvres à la Centre Pompidou Foundation – 150 de leurs pièces sont exposées au Centre Pompidou depuis le 10 juin. En septembre, un ensemble d’œuvres soviétiques et russes sera dévoilé. Mais les donateurs, à juste titre, ne souhaitent pas que leur générosité s’endorme dans les réserves de l’institution ; certains ont pu obtenir des conditions de monstration. Pour attirer le don ou le legs, le Mnam doit demeurer en capacité de l’exposer.

Déménager la BPI
Plutôt que d’envisager la construction d’un deuxième site qui aurait fatalement pour défaut de rompre un fructueux dialogue historique dans la collection, imaginons une hypothèse qui viserait aussi à donner des espaces suffisants à une autre composante du Centre, la Bibliothèque publique d’information (BPI). La longue file d’attente à l’entrée, rue du Renard, démontre l’attrait et la réussite de cet établissement, mais également la saturation de ses 2 200 places. L’an dernier, la BPI a reçu 1 289 211 visiteurs dans ses espaces de lecture et 40 % se sont déclarés mécontents d’avoir dû attendre. Offrons aux étudiants, aux lecteurs de tous horizons une surface capable de satisfaire leur curiosité. Le Grand Paris, ses nouveaux moyens de transport sont à la mesure d’une ambition voulant pallier les manques du dispositif de lecture publique. Quittant le bâtiment de Piano & Rogers, la BPI ne déserterait pas pour autant le Centre Pompidou. Elle pourrait conserver son statut actuel d’organisme associé et participer à l’orientation de l’institution et à sa programmation. Ce déménagement heurterait-il la volonté du père fondateur, Georges Pompidou ? Lui, qui avait voulu « passionnément » un centre culturel « où les arts plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres… » et avait choisi, en 1970, d’associer le nouveau musée d’art moderne à la grande bibliothèque publique dont la construction avait déjà été décidée sur le plateau Beaubourg. Observons que la musique (l’Ircam), autre discipline au statut d’organisme associé, est logée dans un bâtiment extérieur et que, depuis janvier 2000, les lecteurs de la BPI n’entrent plus par le Forum du Centre mais par un accès indépendant.

Sémantiquement, la doctrine est confuse. Le Centre Pompidou invoque la pluridisciplinarité, qui, en fait, se révèle être seulement une cohabitation de différentes disciplines, alors qu’il est attendu sur le croisement des genres, une interdisciplinarité beaucoup plus difficile à mettre en œuvre dans les projets et à concilier avec la disponibilité des visiteurs. Selon un sondage de la BPI, seulement 34 % des lecteurs déclarent avoir fréquenté un autre espace du Centre, essentiellement celui des expositions et non des collections, ces visiteurs étant surtout des retraités, pas des étudiants. On comprend que ces derniers, après avoir patiemment attendu, être restés en moyenne 3 heures et 34 minutes à étudier (sondage BPI), n’aient pas la disponibilité de grimper découvrir des œuvres.
Le Musée national d’art moderne disposerait alors de plus de 10 000 mètres carrés supplémentaires pour déployer amplement collections et nouvelles acquisitions. Au moment où plusieurs fondations privées vont ouvrir de nouveaux espaces, l’État réaffirmerait ainsi un rôle culturel majeur, un soutien à la création et à la place de Paris face à Londres et New York. Un chantier à l’aune de deux quinquennats présidentiels.

Légende photo

Le Centre Georges-Pompidou vu depuis le sommet de la tour Saint-Jacques © Photo Jean-Christophe Windland - 2013 - Licence CC BY-SA 4.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Centre Pompidou, l’autre hypothèse

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