Au seuil du livre : les reliures de Rose Adler (1922-1959)

Le Journal des Arts

Le 25 février 2015 - 725 mots

L’œuvre de Rose Adler (1890-1959), pionnière de la reliure d’art du début du XXe siècle, est encore assez méconnu en dehors des milieux spécialisés, tout comme son auteur.

Elle gravite pourtant dans les plus grands milieux artistiques de son époque : fiancée de Léon-Roger Marx (fils de Roger Marx) qui décède en 1917, membre de l’entourage du couturier et bibliophile Jacques Doucet et de Pierre Legrain depuis 1923, amie des avant-gardistes de la peinture, de l’architecture et de la littérature, admise dans les cercles les plus mondains, elle crée en plus de ses reliures de menus objets et cadres, et remplit un rôle de dame de compagnie, de professeur et d’intermédiaire entre les libraires et les mécènes, comme son amie belge Madame Louis Solvay. Dans les années 1920, grâce aux merveilleux textes de la bibliothèque de Jacques Doucet qu’elle relie avec force et audace sous l’œil bienveillant du collectionneur, Rose Adler acquiert une notoriété qui ne lui fait pas défaut après le décès du couturier en 1929, grâce à une grande capacité à se renouveler et à s’impliquer dans de nouveaux projets. Ainsi, elle est par exemple actrice principale de la constitution de la toute jeune bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Sa recherche de la modernité la pousse à quitter en 1929 la Société des artistes décorateurs (SAD) et à intégrer en 1934 l’Union des artistes modernes (UAM), composée de tous ceux qui, comme elle, ont refusé l’inertie et l’image « assagie » que la SAD souhaitait faire valoir depuis quelques années. Tout change après la Seconde Guerre mondiale : Rose Adler fuit de 1940 à 1944, et à son retour, ne retrouve ni ses ouvriers, ni la plupart de ses anciens mécènes. Preuve toutefois de sa place inchangée dans le milieu de la reliure de création, elle est invitée dès 1946 à faire partie des rares relieurs à intégrer la Société de la reliure originale, fondée par Paul Bonet, Julien Cain et Jacques Guignard : c’est d’ailleurs la seule relieur-femme à en faire partie. Cette société redonne un nouveau souffle à la reliure de création et renforce la visibilité de ses membres auprès des libraires, qui sont les nouveaux bibliophiles de l’après-guerre. Elle flirte avec l’Art déco au début de sa carrière avant de trouver des voies de la reliure qui lui sont propres et d’insuffler une créativité telle qu’elle offrira aux relieurs de la deuxième moitié du XXe siècle une totale liberté dans l’expression de leur art, par ses recherches artistiques sur la création d’une œuvre, qui passe par la lecture, des choix audacieux de couleurs et de matériaux, et le rendu de l’atmosphère de l’ouvrage, comme elle le dit si bien dès 1930 : « Le relieur moderne est vraiment moderne en ceci : il est au service du texte. Il veut l’entendre, le faire entendre. Il l’épouse, il l’exalte. Pourtant, il se refuse à la description, car toute description serait une illustration. ». Mais Rose Adler n’est pas que relieur : témoin de son époque, elle offre d’une plume qui sait se faire grave ou légère une chronique des années folles puis des années de crise, de guerre, de reconstruction, et du début des Trente Glorieuses, dans un journal et une correspondance très fournie. Si l’artiste est aujourd’hui un peu oubliée, elle était de son vivant célébrée par la critique et ses pairs, comme en témoignent ses nombreuses récompenses, parmi lesquelles la Légion d’honneur, reçue en 1951. Elle n’est pas oubliée après son décès : bien qu’aucune réelle rétrospective ne lui ait été consacrée depuis les années 1960, elle est au cœur de multiples ouvrages sur la reliure, l’Art déco, et est célébrée comme la mère de la reliure moderne, aux côtés de Pierre Legrain, dont elle n’est pas l’élève mais l’émule. Il est difficile de reconstituer aujourd’hui la production de Rose Adler : aucune des tentatives de catalogue n’a aboutie et elle-même n’a pas tenu d’inventaire précis de ses créations. Toutefois, notre thèse, intitulée Au seuil du livre : les reliures de Rose Adler (1922-1959) s’accompagne d’un catalogue raisonné de ses reliures conservées dans des institutions culturelles publiques ou privées, et veut démontrer que la production de ce personnage d’une grande richesse, disséminée aujourd’hui partout dans le monde, lui a permis de vivre de son art sans jamais se marier, aussi bien pendant l’entre-deux-guerre qu’après la Seconde Guerre mondiale.

Alice Caillé

Pour rendre compte de l’actualité de la recherche universitaire, Le Journal des Arts ouvre ses colonnes aux jeunes chercheurs en publiant régulièrement des résumés de thèse de doctorat ou de mémoire de master (spécialité histoire de l’art et archéologie, arts plastiques, photographie, esthétique…). Les étudiants intéressés feront parvenir au journal leur texte d’une longueur maximale de 4 500 caractères (à adresser à Jean-Christophe Castelain, rédacteur en chef : jchrisc@artclair.com). Nous publions cette quinzaine le texte d’Alice Caillé, archiviste paléographe, qui a soutenu sa thèse sur les reliures de Rose Adler (1922-1959) à l’École nationale des chartes en février 2014, sous la direction de Mme Élisabeth Parinet.

Légende photo
Un des ouvrages réalisé par Rose Adler © Photo : Bauman Rare Books

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Au seuil du livre : les reliures de Rose Adler (1922-1959)

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque