Rudy Ricciotti : « Le bâtiment fait référence au trait délié cher à Cocteau »

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 26 septembre 2011 - 888 mots

Retenu contre les trois autres projets finalistes signés Bernard Tschumi, Jacques Ferrier et Studio Milou, le futur Musée Jean-Cocteau dessiné par Rudy Ricciotti s’est volontairement éloigné des charges tout en se rapprochant de l’univers du poète.

L’œil : En 2008, vous avez été désigné lauréat du concours d’architecture du futur Musée Cocteau. Or, sur les quatre projets, le votre était celui qui respectait le moins le cahier des charges. Vous avez néanmoins raflé la mise. Pourquoi ce choix ?
Rudy Ricciotti : Je voulais avant tout inscrire le musée dans la logique de la trame urbaine de Menton. Premièrement, le site envisagé pour ériger le bâtiment comportait des contraintes. Son sous-sol comprend déjà, entre autres, un parking, une station d’épuration ainsi que diverses rampes d’accès. Construire à cet endroit précis aurait nécessité de coûteux travaux de reprises en sous-œuvre. Deuxièmement, nous ne voulions absolument pas édifier le musée devant ce bâtiment remarquable qu’est le marché couvert : de magnifiques halles de style provençal datant du XIXe siècle. L’idée était d’engager un « épaississement » de la ville vers la mer, sans donner dans le hors-d’échelle. Le musée est une pièce urbaine qui aide à réparer un morceau de quartier, à écrire la ville. Il s’inscrit comme un soubassement assurant l’assise du « tableau urbain » existant.

L’œil : Déplacer l’édifice n’équivalait-il pas à vous compliquer la tâche ?
R.C : Si, fatalement. En déplaçant le bâtiment de la sorte, celui-ci s’est retrouvé en situation de crise. En clair : son implantation, qui s’aligne sur les limites parcellaires de l’ancienne station-service, a généré un volume à la géométrie bizarre, une sorte de parallélépipède irrégulier. Afin que le musée ne fasse pas écran avec le patrimoine existant situé juste derrière, il a ensuite fallu « écraser » le bâtiment, pour respecter une hauteur totale imposée de 4,5 mètres. Cela nous a, en outre, obligés à « enfoncer » l’édifice dans le terrain et à déployer un espace en sous-sol, afin d’obtenir le total de la surface exigée par le programme.

L’œil : Le fait d’avoir déplacé le musée vous a, en revanche, permis de créer une place…
R.C : Effectivement, en déplaçant l’édifice plus à l’ouest, nous avons libéré l’espace devant les halles municipales afin de créer une place ouverte sur la mer. Cette vaste esplanade – environ 12 000 m2 – crée le lien de « l’entre-deux » entre d’un côté la ville, le quai de Monléon, de l’autre la mer, l’esplanade Francis-Palmero. Elle permet de mettre en valeur à la fois la façade principale du musée Cocteau, face à l’est, et la façade historique des halles. Outre cette place, nous avons aussi créé, pile dans l’axe de la rue Gelis, un passage public qui mène jusqu’à la mer. Depuis ladite artère, l’habituelle perspective sur la mer reste donc inchangée.

L’œil : Quelles ont été vos sources d’inspiration quant à l’esthétique de l’édifice ?
R.C : J’aime le dessin, la narration, l’onirisme. Ces trois notions peuvent être considérées comme un possible architectural. Devant le musée, il y a la mer : une scénographie d’une grandeur immaculée, un horizon métaphysique. Le bâtiment, lui, fait référence à ce « trait délié » cher à Cocteau. Il est mystérieux. Il interpelle par son apparence, intrigue par ses transparences, attire par ce qu’il laisse entrevoir de ses entrailles. Cette colonnade de morceaux de murs aléatoires de 50 cm d’épaisseur est une déclinaison du thème méditerranéen du portique. On peut également y voir un clin d’œil appuyé au film La Belle et la Bête. La structure de béton évoque la chevelure tombante de la Bête : des cheveux ensorcelés ou peut-être des flammes… Cette structure de béton est magnifique. Ça danse, c’est sexy !

L’œil : Vous insistez sur la fabrication même du bâtiment et militez en faveur d’une « culture constructive ». Pourquoi cet engagement ?
R.C : Il faut revenir à de vraies valeurs, comme le travail bien fait. Prenez la métallerie : dans ce projet, aucune huisserie n’est identique. Elles sont réalisées à la main par un serrurier du coin. C’est exceptionnel, du grand art. Regardez ce béton : il est magnifique, blanc et lisse comme la peau. Bref, le bâtiment est réalisé « in situ » au sens littéral du terme. La chaîne de production est courte, les savoir-faire sont locaux. Sur le chantier, les ouvriers sont de vrais poèmes, ils se transforment en patriotes. C’est « leur » chantier. Développer le travail qualifié participe à la cohésion sociale. Outre que cela perpétue une mémoire du travail, c’est aussi un principe d’émancipation contre la barbarie de la globalisation. Bref, c’est un acte politique. En architecture, le vrai combat révolutionnaire, il est là !

L’œil : Aimez-vous Jean Cocteau ?
R.C : Je n’ai aucune sympathie pour Jean Cocteau comme personnage politique. Je n’aime pas la personne qui faisait le dandy avec les Allemands. Ce que j’aime chez Cocteau, c’est son arrogance, son goût des mots. L’artiste, lui, a une place fondatrice dans l’imaginaire artistique français.

Repères

27 juin 2008 Rudy Ricciotti, lauréat du concours d’architecture

Décembre 2008 Début des travaux de démolition

Octobre 2009 Début des travaux de construction

15 janvier 2011 Fin du gros œuvre

Octobre 2011 Réception générale du bâtiment et de la muséographie

6 novembre 2011 Ouverture au public

Équipe de maîtrise d’œuvre Agence Rudy Ricciotti. Muséographie : Agence Elizabeth de Portzamparc. Aménagement paysager : Agence APS.

Autour du musée

Informations pratiques : Le nouveau Musée Jean-Cocteau, collection Séverin Wunderman, ouvrira ses portes le 6 novembre au 2 quai de Monléon, Menton (06). Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h, sauf le mardi et les jours fériés. Tarifs : de 4 à 8 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°639 du 1 octobre 2011, avec le titre suivant : Rudy Ricciotti : « Le bâtiment fait référence au trait délié cher à Cocteau »

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