Gustave Fayet L’œil souverain

Entre-nerfs

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 23 septembre 2015 - 762 mots

Soucieuses de combler une lacune dommageable à l’histoire de l’art, les Éditions du regard réservent à l’artiste et collectionneur Gustave Fayet (1865-1925). Un ouvrage élégant, où la richesse le dispute à la finesse.

Souvent purgée de références concrètes (économiques, techniques), l’histoire de l’art ne saurait être une simple compilation d’œuvres rassemblées par l’expertise de « connoisseurs » et la ténacité de conservateurs. Par faute de temps et de place, désertent souvent le règne de la nuance ou le registre du matériel, là où, pourtant, s’échafaudent souvent les petites histoires qui confluent dans la grande. L’art a un lieu et l’artiste un corps : les deux s’inscrivent dans le monde qui bruit, qui palpite, loin de l’éther de certains manuels et de nombreux récits.

À cet égard, l’étude du collectionnisme, en tant qu’elle permet d’approcher une histoire du goût et puisqu’elle autorise une vision panoptique de l’art comme des idées, est devenue une discipline féconde qui a récemment enfanté de précieuses expositions – que l’on veuille penser à celles consacrées à Ambroise Vollard à Orsay (2007), aux Stein aux Galeries du Grand Palais (2011-2012) ou à Jacqueline Delubac au Musée des beaux-arts de Lyon (2014-2015). Le présent ouvrage s’engage donc dans un territoire sillonné, à ceci près que le collectionneur Gustave Fayet, avec son regard aiguisé, fut également un artiste à part entière, avec une main affûtée. Une double nature à laquelle rend justice, en sous-titre, la belle locution d’« œil souverain ».

La forme appropriée
Idoines, les dimensions de cet ouvrage broché (17,3 x 24,5 cm) le situent pertinemment à mi-chemin entre l’essai et le beau livre et voient coïncider son aspect physique avec sa nature intellectuelle. Ici, nulle afféterie inutile, nulle concession graphique contrevenant au projet. Forme et fonction se superposent, ivresse et flacon se rejoignent. La couverture, peuplée de quatre portraits peints sertis dans des losanges – respectivement Fayet, Cézanne, Van Gogh et Gauguin –, abrite 256 pages sur papier glacé et ainsi déployées : à la belle préface de Dario Gamboni succèdent, dans l’ordre, un récit biographique de Gustave Fayet, signé Stéphane Guibourgé, une étude de sa collection, par Alexandre d’Andoque, une exploration de sa pratique artistique, par Magali Rougeot, une chronologie détaillée, élaborée par Guillaume d’Abbadie, une bibliographie et, enfin, des remerciements. De nombreuses reproductions en couleurs, servies par une photogravure irréprochable, viennent scander généreusement chacune des contributions des auteurs et, ainsi, étayer l’effort de visualisation du lecteur.

La beauté domestique
Convoquant des archives éloquentes – photographies anciennes, lettres autographes –, chaque étude permet de mesurer la praxis du collectionneur Fayet qui posséda parmi les plus grands noms de la scène artistique – de Bonnard à Toulouse-Lautrec en passant par Rodin, Signac ou Denis. Avec sa barbe aussi impeccable que ses manières, cet héritier de grands propriétaires viticoles originaires de Béziers fréquenta assidûment les artistes, notamment Redon qui lui livra son chef-d’œuvre – Le Jour et La Nuit (1910-1911) pour l’abbaye cistercienne de Fontfroide. Spéculateur décomplexé, Fayet achète et revend sans cesse – « Songez, ma collection ne m’aura rien coûté… » – et constitue un butin dont certains joyaux sont prêtés lors d’expositions majuscules, ainsi les vingt-neuf pièces que prête le Biterrois pour la rétrospective Gauguin du Salon d’automne de 1906.
Les Deux Tahitiennes (1899) de ce dernier, La Baie de l’Estaque (1879-1883) de Cézanne, Les Roulottes (1888) de Van Gogh, respectivement au MoMA, au Philadelphia Museum of Art et au Musée d’Orsay : autant d’icônes de la peinture occidentale ayant partagé le même pedigree et les mêmes adresses, l’une d’elles – le 51, rue de Bellechasse à Paris – ayant magnétisé aussi bien Picasso et Matisse que Vollard, Chtchoukine et Morozov.

L’ambition artistique
Ébouriffante par sa prolixité comme par sa densité, cette vie eût mérité un index – seule manière de pouvoir naviguer dans ce parcours océanique – et une évocation moins maladroite que celle conçue par Stéphane Guibourgé qui, désireux d’incarner le personnage Fayet, recourt à une mise en récit tout à la fois poétique et scabreuse, dont le lecteur sort sinon frustré, du moins désorienté. Immense, le collectionneur Fayet eût plongé l’artiste dans l’ombre si, images à l’appui, l’ouvrage n’avait mis au jour un illustrateur savant, un décorateur merveilleux, dont les aquarelles sur papier buvard servirent notamment de matrices à la Maison Dumas, et un peintre remarquable, entre Redon et Osbert, digne représentant d’une esthétique mallarméenne (Bleu et or d’un soir de Sicile, 1902). Fou de peinture, qu’il l’acquît ou qu’il l’élaborât, Gustave Fayet fut un admirable imagier, certain qu’il convenait de la promouvoir et de la dévoiler. Sans fétichisme ni jalousie. Juste par goût du partage et de l’échange. À cet égard, ce livre lui ressemble.

Collectif, Gustave Fayet. L’œil souverain, Éditions du Regard, 256 p., 29,50 €.

Légende photo
Gustave Fayet sortant de son salon à Fontfroide © Fonds Fontfroide

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°683 du 1 octobre 2015, avec le titre suivant : Gustave Fayet L’œil souverain

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