Bande dessinée

Le marché de la planche de BD

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 20 février 2014 - 980 mots

Exposée, collectionnée, la bande dessinée, présente dans les maisons de ventes comme à la foire Drawing Now, constitue un marché en pleine expansion.

Le 2 juin 2012, une gouache couleur de Tintin en Amérique est devenue l’œuvre de bande dessinée la plus chère au monde avec une enchère à 1,34 million d’euros. Le 24 mars 2007, à la grande surprise de l’artiste et d’Artcurial, une acrylique de Bilal, Bleu sang, s’est arrachée à 176 000 euros !

La BD sort de sa bulle
Le petit commerce de fonds de boutique, concernant la vente de la planche originale, est révolu. Les maisons de vente exploitent le filon : Daniel Maghen, un pionnier dans le secteur, ouvre cette année le département BD chez Christie’s et promet une vente de premier plan le 5 avril 2014. La dizaine de galeries indépendantes spécialisées en bandes dessinées (Arludik, Barbier & Mathon, Champaka, Martel, 9e Art, Petits Papiers, Gilles Peyroulet & Cie…) a vu l’arrivée en 2013 d’un sérieux concurrent : Jacques Glénat est le tout premier éditeur de BD à créer sa propre galerie, ouverte en septembre dernier dans un haut lieu de l’art contemporain (le Marais). Les acheteurs, nostalgiques ou passionnés de dessin, sont de plus en plus nombreux, et les acteurs du marché de l’art de la BD (maisons de ventes aux enchères comme Artcurial, Million & Associés, Cornette de Saint Cyr, foires, galeristes, investisseurs, bédéistes) mettent en place un système organisé et lucratif. Selon Gilles Ciment, directeur de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême : « Il y eut un premier “marché”, celui des éditions originales, qui s’est fortement développé dans les années 1970 et 1980. Un nouveau marché s’est considérablement développé au tournant des années 1990-2000, celui des planches originales. Il n’y a pas à être pour ou contre, c’est une réalité, qui est d’ailleurs pour un certain nombre d’auteurs, même si certains rechignent à vendre, une source de revenus non négligeable, à côté de leurs droits d’auteurs. Le succès de ce marché ne se dément pas. Comme tout marché naissant, il a connu une flambée spectaculaire (l’effet “rattrapage”) et atteint sans doute ces temps-ci un premier palier, mais je ne crois pas que l’on puisse parler d’essoufflement. D’ailleurs, certains résultats de ventes récentes attestent d’un intérêt toujours vif de la part des collectionneurs. »

La flambée des prix :  l’arbre qui cache la forêt
Si l’on ne peut que constater la bonne santé de cette activité, on peut tout de même tempérer, en constatant que les grosses ventes sont souvent concentrées sur quelques stars (Bilal, Druillet, Franquin, Hergé, Moebius, Pratt, Uderzo) dont la cote n’a cessé de grimper ces dernières années, reléguant au second plan bon nombre d’auteurs. Michel-Édouard Leclerc, grand collectionneur de BD, précise : « Il s’écrit beaucoup de bêtises sur ce marché. Une peinture d’une vedette comme Druillet peut atteindre 25 000 euros, on est très loin de Soulages ! » De leur côté, les galeristes (Martel, 9e Art, Peyroulet), qui font un véritable travail de fond et qui participent au salon Drawing Now dédié au dessin, précisent qu’en moyenne le prix d’une pièce unique d’un auteur contemporain (du jeune Stefano Ricci au culte Gilbert Shelton) oscille entre 2 000 et 10 000 euros. Ainsi, si certaines belles pièces signées Hergé ou Enki Bilal ne sont désormais accessibles qu’aux spéculateurs et investisseurs, il est encore possible d’acheter une planche originale d’un bédéiste confirmé, comme François Boucq ou Jacques Tardi, pour environ 10 000 euros.
Bien sûr, à côté des collectionneurs privés, on n’oubliera pas que les institutions publiques jouent un grand rôle pour légitimer la BD en tant qu’art et, parallèlement, faire monter les prix. Mais, à ce niveau-là, les musées d’État sont à la traîne. À raison, Michel-Édouard Leclerc, ardent défenseur du médium, constate : « Beaubourg ne possède qu’une unique planche d’Hergé, et le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, qui a exposé Crumb en 2012, n’a acquis aucune planche. Mais pourquoi cette quasi-indifférence des autorités culturelles envers la BD ? Pour contrer cette inertie des acquéreurs publics, j’acquiers des planches originales, moins en collectionneur addict qu’en promoteur patrimonial, afin de bâtir prochainement à Paris un musée privé de la BD en vue de montrer à quel point celle-ci est essentielle dans le champ de la culture et des arts. »

Walt Disney %26 Damien Hirst

Une marque/un artiste

Des sérigraphies de Warhol aux toiles façon BD de Bernard Rancillac en passant par les dessins de Keith Haring, le personnage de Mickey, symbole de l’Amérique triomphante, puis de la mondialisation, n’a cessé d’inspirer l’art contemporain. Dernier avatar d’une lignée déjà très fournie, le Mickey de Damien Hirst a pour particularité qu’il s’agit cette fois d’une commande passée à l’artiste par Disney. Alliant « le fun et l’énergie du cartoon » au style du spot painting, le résultat est à la limite du pastiche. La peinture laquée sur toile qui représente la souris iconique de façon stylisée en la réduisant à des ronds de couleurs doit être mise en vente le 13 février chez Christie’s, à Londres, au profit de Kids Company. Damien Hirst soutient depuis plusieurs années cette association de soutien aux enfants défavorisés créée en 1996. Circuit en boucle fermée ou cercle vertueux ? On ne sait que penser d’une opération aussi rondement menée qui mélange star system, marché de l’art et humanitaire. En France, le volet communication est assuré par The Art Marketing Company, qui rappelle dans son communiqué cette phrase de Walt Disney à Salvador Dalí­ alors que les deux hommes envisageaient en 1954 de réaliser ensemble un court-métrage d’animation, lequel fut finalement interrompu et produit en 2003 : « Tu es un génie. Je suis un génie. Alors imagine ce que nous pourrions faire ensemble. » Soixante ans plus tard, cette ambition est mise aux enchères, au service d’une bonne cause.

Anne-Cécile Sanchez

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°666 du 1 mars 2014, avec le titre suivant : Le marché de la planche de BD

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