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William M. Hunt - « L’œil invisible »

Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2011 - 423 mots

Regards absents de Hunt : un ouvrage de qualité met en scène la collection de portraits de l’acteur américain.

Il y a trente-cinq ans William M. Hunt avait de lui-même une image un peu floue. Sur un coup d’œil, l’acteur new-yorkais acquiert un jour aux enchères une photo intitulée Le Rêve (Femme voilée), 1910, d’Imogen Cunningham. Son premier autoportrait, en forme d’antiportrait. D’emblée, sa quête aveugle de soi tâtonne de la pensée de Walter Benjamin comparant l’inconscient psychanalytique et photographique à celle de Jacques Derrida pour qui le spectral est l’essence de la photographie. « Je reste attiré par la tranquillité de sphinx de cette fille, impénétrable telle une gardienne de secrets », annote le sexagénaire à l’allure de joueur de base-ball, dans L’Œil invisible, premier ouvrage de référence consacré à sa collection Dancing Bear de mille portraits sans regard. En 2005, les Rencontres photographiques d’Arles fascinent le public avec ces clichés insolites de personnages aux yeux occultés, voilés, cachés ; ces œuvres anachroniques, atypiques, d’anonymes ou de grands noms, Diane Arbus, Henri Cartier-Bresson, Nadar, Brassaï, Walker Evans, Weegee, Witkin, Mapplethorpe… « La photographie a changé ma vie. Elle m’a donné la vie. L’étonnante diversité des images de ma collection, fameuses ou non, voire malfamées, reflète une aventure poétique et personnelle toujours dense », poursuit le consultant en photo, qui s’est retiré de sa galerie à Chelsea (New York).

Chaque page de L’Œil invisible réserve une surprise, entre terreur et félicité : on y voit des condamnés à mort aux yeux bandés, des membres du Ku Klux Klan cagoulés, un cadavre sans tête, des nus volants, la face extatique d’un bébé endormi, des visages brouillés, des mains écran comme un funambule encapuchonné. Chaque image a sa raison d’être. « Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point […], c’est un détail qui m’attire et me blesse. Le punctum est toujours subjectif », observait Roland Barthes dans La Chambre claire. Féru d’art et d’histoire de la photographie, Hunt le collectionneur se démasque à travers des billets subtils qui éduquent le regard. Arrive l’image ultime du livre faisant l’effet d’un coup de théâtre : L’Œil droit de Jean Dubuffet, 1960, Bill Brandt. Grand ouvert. « À la fin j’ai vu clair : le voyage était accompli », constate William Hunt. Que lui ont révélé trente-cinq ans de cure photographique ? « L’estime de soi », confie-t-il, le regard heureux.

William M. Hunt, L’œil invisible, trad. Daniel De Bruycker, éd. Actes Sud, Arles, 2011, 320 p., 369 photos, 39 €, ISBN 978-2-7427-9887-2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°356 du 4 novembre 2011, avec le titre suivant : William M. Hunt - « L’œil invisible »

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