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ENTRETIEN

Vincent Négri : « La notion de conflit est centrale dans la définition du séquestre »

Chercheur, spécialiste de droit international du patrimoine

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 4 septembre 2025 - 1008 mots

Vincent Négri analyse dans un ouvrage collectif le séquestre sous ses multiples facettes : à la fois outil juridique de conservation et levier politique.

Vincent Négri est chercheur, spécialiste de droit international du patrimoine (ENS-Paris Saclay). Il a codirigé en 2025 un ouvrage collectif sur la notion juridique de séquestre appliquée au patrimoine. Outre une définition du séquestre en miroir de la notion de spoliation, l’ouvrage présente de nombreux cas de séquestres de collections et de biens culturels depuis le XIXe siècle, dont plusieurs affaires emblématiques (succession Arman, collection Morozov)

L’ouvrage insiste sur la différence entre séquestre et spoliation. Pouvez-vous rappeler la spécificité du séquestre ?

Dans la définition de la spoliation, il y une violence originelle, essentiellement dans le cadre d’un conflit armé : la spoliation entraîne une privation de la propriété d’un bien par la violence, le propriétaire est dépossédé de son bien. Par contre, le séquestre n’entraîne pas une privation de propriété, c’est plutôt une forme de confiscation : on saisit le bien et on l’administre pendant un temps donné, par exemple le temps d’un procès. C’est le cas des biens qualifiés de « biens ennemis » pendant une guerre, c’est une privation de l’usage des biens, mais pas une spoliation par l’administration de l’État. C’est cette variété qui nous a intéressés dans la notion de séquestre.

Pour les biens culturels, peut-on dire qu’il y a deux situations récurrentes qui sont les litiges liés aux successions d’artistes ou de collectionneurs, et les conflits armés ?

Oui effectivement, la notion de conflit est centrale dans le séquestre, mais elle peut prendre d’autres formes. Je pense au cas des séquestres de biens des opposants politiques, où le pouvoir veut les priver de leurs ressources et empêcher leur action politique, même en dehors d’un conflit armé. Pour revenir aux biens culturels, le séquestre est une notion de droit civil et se trouve masqué en quelque sorte dans les cas de successions. On prend une mesure provisoire dans l’attente du règlement de la succession, une mesure conservatoire. Et le plus souvent cette mesure intervient dans des litiges d’ordre privé, donc peu médiatisés. Le vocabulaire utilisé par les médias dans le cas de biens culturels est plus de l’ordre de la saisie ou de la confiscation, car le séquestre est mal connu du grand public. Mais le séquestre reste tout de même une notion liée à quelques affaires emblématiques pendant des conflits armés.

Effectivement, l’ouvrage évoque parmi les affaires récentes le cas de la collection Morozov en 2022 et l’affaire dite de « l’or de Crimée » en 2014. Est-ce que ces deux cas liés aux invasions russes de l’Ukraine ne montrent pas les risques d’instrumentalisation politique des séquestres ?

Je serais tenté de vous dire que le patrimoine est toujours politique… Dans le cas de l’or de Crimée et de l’exposition aux Pays-Bas en 2014, on pourrait dire qu’au sens juridique ce n’est pas un séquestre car cela n’a pas été fait sur ordre de la justice, c’est le musée qui a pris la décision (ndlr : Musée Allard Pierson d’Amsterdam). Mais cela renvoie à l’imaginaire du séquestre, les autorités néerlandaises ont conservé les biens dans l’attente de la résolution du conflit ukrainien : les musées de Crimée réclamaient le retour de la collection, et les autorités ukrainiennes réclamaient la propriété de la collection et son retour en Ukraine (ndlr : après l’invasion et l’annexion de la Crimée en 2014, le Musée Allard Pierson a conservé la collection car la rendre aux musées de Crimée signifiait reconnaître de facto la légalité de l’annexion russe). Pour l’instant, la collection reste à Amsterdam, car il y a une procédure en cours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), initiée par les musées de Crimée en 2023, avec le soutien de la Russie (ndlr : à ce jour, la CEDH ne s’est pas prononcée sur la recevabilité de la plainte). J’estime que ce cas plaide en faveur des séquestres.

Peut-on faire un parallèle avec le cas de la collection archéologique de Gaza qui fait l’objet d’une exposition à l’Institut du monde arabe (IMA) ? Cette collection est bloquée en Suisse depuis plusieurs années et cela s’apparente à un séquestre.

Il se trouve que je connais bien ce dossier. Cette collection a une double origine de propriété, une est publique et appartient à l’Autorité palestinienne, et l’autre est privée (ndlr : elle appartient à l’entrepreneur Jawdat Khoudary, lire JdA 639 et 654). Les deux collections sont toujours conservées au Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) en vertu d’une convention conclue entre les parties. C’était à la demande du collectionneur et de l’Autorité palestinienne, en raison de craintes liées à la situation de Gaza à l’époque, mais depuis le 7 octobre, il est encore plus risqué que cette collection revienne à Gaza. C’est une autre forme du séquestre, où un tiers administre temporairement la collection pour le compte du collectionneur et de l’Autorité palestinienne.

À propos de l’or de Crimée, l’ouvrage évoque la non-harmonisation du droit international dans le cadre des contrats de prêts à l’étranger. Est-ce qu’il y a une réflexion collective sur ce sujet alors que les prêts d’œuvres d’art se multiplient dans les musées ? Est-ce que les conventions internationales sont efficaces ?

Oui, il y a depuis quelques années un dispositif qui a été pensé par plusieurs États (dont la France et la Suisse). Quand il y a des prêts d’œuvres d’art entre musées ou collections, il peut y avoir une « immunité de saisie » qui est déclarée et qui offre des garanties aux prêteurs. En Suisse, elle n’est accordée que si l’État prêteur a ratifié la convention Unesco de 1970 (convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels). Cette convention produit des effets positifs sur le volet prévention et lutte contre le trafic de biens culturels, c’est avéré. Mais sur la question du retour des biens, elle est peu efficace car elle se heurte là encore à des notions de droit civil, avec des différences selon les pays.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°660 du 5 septembre 2025, avec le titre suivant : Vincent Négri, chercheur, spécialiste de droit international du patrimoine : « La notion de conflit est centrale dans la définition du séquestre »

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