Livre

Velázquez

Par Pierre Pons · L'ŒIL

Le 15 avril 2015 - 1493 mots

À l’occasion de l’exposition du Grand Palais, les éditions Taschen et Citadelles & Mazenod rééditent chacune leur ouvrage de référence sur « le peintre des peintres » : Velázquez (1599-1660). Deux éditions indispensables et complémentaires qui n’ont pas vieilli en 2015.

1 L’histoire des livres
CITADELLES & MAZENOD  Quelques mois avant les célébrations du 400e anniversaire de la naissance du peintre, les éditions Citadelles & Mazenod commandent à Yves Bottineau un Vélasquez pour leur collection « Les Phares ». La collection, qui reprend le titre du poème de Baudelaire, « n’a pas pour but premier d’établir des catalogues, mais de montrer comment tel ou tel maître a été novateur ou original », explique Bottineau. À cette époque, il existe des études en français sur le peintre espagnol, dont Velázquez, peintre religieux d’Odile Delenda (1993), mais aucune grande monographie d’ampleur n’a été rédigée dans la langue de Manet depuis la « biographie critique » d’Élie Faure sur le peintre qui fut publiée en… 1904 !

TASCHEN En 1981, paraît en français Velázquez, artiste et créateur, avec un catalogue raisonné de son œuvre intégral (Bibliothèque des arts). Ce livre, qui reçoit le prix Élie Faure un an plus tard, poursuit et synthétise des études déjà parues de José López-Rey, dont un premier catalogue des œuvres en 1963 et une monographie en 1968. L’ouvrage devient vite une référence. Il sera réédité par Benedikt Taschen (avec le soutien de Daniel Wildenstein, qui avait participé à la première édition) d’abord en 1996, puis en 1997-1998, en 1999, et en 2014 en prévision de l’exposition du Grand Palais à Paris. Plus d’une dizaine de catalogues raisonnés des œuvres de Velázquez ont été publiés à ce jour, mais aucun ne s’est autant imposé que l’édition de José López-Rey. « Dans le domaine des études vélasquésiennes, le catalogue de López-Rey constitue encore de nos jours une somme inégalée qui fait autorité dans le monde entier », constate Guy Wildenstein en avant-propos à la réédition 2014.



2 Les auteurs
CITADELLES & MAZENOD
Yves Bottineau (1925-2008) est un historien de l’art français, spécialiste de la culture et de l’art espagnol des XVIIe et XVIIIe siècles. Diplômé de l’École du Louvre, docteur ès lettres, formé à l’École des chartes et à l’École des hautes études hispaniques de la Casa Velázquez à Madrid. Il a notamment été conservateur au Musée du Louvre, conservateur en chef du château de Versailles et inspecteur général des musées. Son premier ouvrage, L’Espagne, a paru en 1955.

TASCHEN José López-Rey (1905-1991) est un historien de l’art espagnol, grand spécialiste de Goya et de Velázquez. Né à Madrid, il dut fuir le franquisme à la chute du gouvernement républicain. En 1939, il s’installe aux États-Unis où il mène sa carrière au sein des plus prestigieuses universités américaines. Il publie son premier catalogue des œuvres de Velázquez en 1963.



3 Les livres
CITADELLES & MAZENOD
Synthèse de la vie et de l’œuvre de Diego de Silva y Velázquez, le texte d’Yves Bottineau retrace de manière chronologique le parcours du portraitiste préféré de Philippe IV, de son apprentissage à Séville à son décès à Madrid. Il met l’accent sur l’ascension sociale de l’artiste qui lui fit notamment changer la forme espagnole de son nom pour mieux témoigner de son appartenance à la noblesse. À propos du style de Velázquez, l’auteur prend le parti de ne pas parler de « progrès » mais de « variation » et « d’enrichissement de sa manière », la dimension souveraine de sa peinture étant, selon lui, perceptible dès les premières œuvres. Bottineau n’hésite pas non plus à mettre en doute des interprétations admises ailleurs – « Une tradition qui ne repose sur aucune preuve relie le Christ en croix à une aventure amoureuse de Philippe IV » –, tout comme à s’appuyer sur des études en laboratoire pour rétablir certaines vérités historiques. Sa grande culture sur l’Espagne lui permet de replacer les faits dans leurs contextes politique – les victoires de la Couronne –, religieux et architectural. « Un des grands intérêts de l’ouvrage d’Yves Bottineau est l’analyse minutieuse des tableaux avec leur reconstitution précise dans leur localisation originale, rendue possible par la parfaite connaissance de l’auteur des maisons royales », note ainsi Odile Delenda dans son avant-propos à l’ouvrage. Le texte, fluide tout en étant d’une grande érudition, n’a pas pris une ride en 2015.

TASCHEN Le Velázquez de José López-Rey n’est pas une monographie, encore moins une biographie, mais le catalogue chronologique des cent vingt-neuf œuvres considérées comme autographes par l’auteur. Si les éléments de la vie du peintre constituent la trame du texte, ce dernier se concentre essentiellement sur l’analyse et le commentaire des tableaux pour composer une étude d’œuvres qui reste, plus de trente ans après sa rédaction, un modèle du genre. L’auteur analyse les sujets, les compositions, les teintes, met en perspective les interprétations de ses confrères historiens, n’hésitant pas à convoquer telle découverte rendue possible par la restauration – quand il ne dénonce pas ces nettoyages « à outrance », comme celui qui, en 1965, fit disparaître de la célèbre Vénus à son miroir des repeints pourtant de la main du maître ! À la lecture du livre, on comprend que José López-Rey connaît chacune des œuvres pour les avoir regardées de près, nous les faisant presque toucher du doigt…



4 Les mises à jour
CITADELLES & MAZENOD Elle est assurée par Odile Delenda, historienne de l’art au Wildenstein Institute, spécialiste de Zurbarán et de Velázquez, qui n’a pratiquement pas remanié le texte du « professeur Bottineau ». « Les choix de l’auteur, souvent longuement développés dans le texte, lui appartiennent en propre et l’on ne saurait les changer », explique-t-elle. Les mises à jour se concentrent donc sur les notes et l’appareil critique du livre, notamment pour évoquer les découvertes qui ont suivi les manifestations du 400e anniversaire de la naissance de Velázquez en 1999, comme la nouvelle datation des deux vues de la Villa Médicis, uniques dans l’œuvre de Velázquez, que les spécialistes datent aujourd’hui de l’été 1629 et non plus de 1649-1650. Les œuvres qui ont été réattribuées au peintre depuis 1999 n’apparaissent également pas dans la réédition 2015 du Vélasquez de Bottineau, « volontairement », précise Delenda, qui renvoie au catalogue de José López-Rey chez Taschen que l’historienne a également mis à jour. Cependant, deux tableaux, dont la réattribution est acceptée par la majorité – c’est-à-dire pas par tous – des spécialistes, ont été ajoutés au Bottineau, dont L’Immaculée Conception datée de 1618.


TASCHEN Odile Delenda, qui assure aussi la mise à jour du Velázquez de López-Rey, n’est pas intervenue, ou à la marge, dans le texte. « Les nouvelles éditions de livres considérés comme des moments de l’histoire de l’art ne peuvent comporter aucune modification de texte après le décès de leur auteur », prévient Odile Delenda – José López-Rey a disparu en 1991. En revanche, l’historienne de l’art a mis à jour les annexes, la bibliographie bien sûr, mais aussi le catalogue raisonné des œuvres qui termine, comme c’est la tradition, le livre et dont elle propose par ailleurs une nouvelle numérotation. Les appendices tiennent compte des découvertes réalisée ces dernières années, notamment à la suite des expositions, colloques et articles conçus dans le cadre des 400 ans de la naissance du peintre, en 1999. Les nouvelles attributions, contestées ou non, font également l’objet d’un nouveau chapitre qui ouvre le livre, sans être pour autant intégré au catalogue de José López-Rey.



5 les points forts
CITADELLES & MAZENOD
La proximité des illustrations avec les passages du texte qui s’y rapportent, aidée par les numéros imprimés dans les marges qui renvoient directement aux reproductions ; La maquette élégante de l’ouvrage et son impression très soignée ; Les nombreuses reproductions d’œuvres d’artistes contemporains (ou pas) de Velázquez, espagnols (comme Pacheco et Zurbarán), italiens (Caravage, Annibal Carrache, Raphaël, Titien, etc.) et du Nord de l’Europe (Rubens) qui replacent Velázquez dans l’Europe artistique ; Le chapitre sur le destin posthume de Velázquez, où apparaissent Goya, Manet et Picasso ;Le soin apporté à la fabrication de l’ouvrage ; L’érudition de l’auteur et la qualité de son texte.

TASCHEN Les reproductions dans un format extraordinairement grand qui permet d’approcher au plus près les œuvres de Velázquez, dont on peut voir les moindres aspérités de la toile ou les variations de matière (même si la taille et le poids de l’ouvrage ne facilitent pas sa consultation) ; La qualité de l’impression (incomparable !) ; Les nombreux détails de tableaux reproduits en pleine page, dont un dépliant qui reproduit le haut de La Reddition de Breda ; Les indications sur la qualité de conservation des œuvres, qui furent, pour beaucoup, agrandies, coupées – certains portraits ont été recentrés –, pliées, rentoilées, « nettoyées » au cours des siècles pour satisfaire à l’évolution du goût. Ainsi, Les Ménines furent-elles endommagées lors de l’incendie de l’Alcázar à Madrid en 1734 ;La reproduction d’œuvres récemment attribuées ; L’intime connaissance de l’auteur de l’œuvre du peintre espagnol.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°679 du 1 mai 2015, avec le titre suivant : Velázquez

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