Une bibliothèque

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 30 avril 2018 - 759 mots

Anthologie des plus beaux livres de la Maison européenne de la photographie, Une bibliothèque dessine une histoire artistique et, en creux, une volonté politique, fondée sur l’excellence et la singularité, indissociables.
En 2015 paraissait Une collection, un ouvrage qui, avec son élégante couverture orangée, allait bientôt devenir un classique. La Maison européenne de la photographie (MEP), installée depuis sa fondation, en 1996, dans un hôtel particulier du Marais, à Paris, rassemblait dans ce livre quelque trois cents œuvres incontournables issues de sa prestigieuse collection de photographies. Trois ans plus tard, toujours coédité avec Actes Sud, paraît Une bibliothèque, second opus dont la couverture dorée abrite de nouveaux trésors – imprimés cette fois, puisqu’il s’agit d’une sélection faite au milieu des trente-deux mille livres du fonds de la MEP, assurément l’un des plus importants du continent. Nécessaire, savant, nécessairement savant, cet ouvrage permet de réaffirmer, en le couronnant, le travail de Jean-Luc Monterosso, directeur de l’institution et de la publication, récemment parti à la retraite. Si une page se tourne, occasion était donnée d’en feuilleter de nombreuses autres – splendides.

Florilège
De grand format (24 x 30 cm), ce livre relié se distingue par la sobriété de sa couverture safranée, laquelle reprend le parti pris graphique du premier volume : figurent sur la première le titre – en lettres luisantes, séparées par un trait d’union presque symbolique, tant la MEP essaya de suturer les pratiques et les genres –, la désignation de l’institution muséale et des éditeurs. Ni plus, ni moins. La quatrième héberge une note d’intention limpide, notamment par son deuxième paragraphe programmatique : « Choisis parmi les œuvres des photographes les plus représentatifs des soixante dernières années, les cent livres sélectionnés dans cet ouvrage illustrent une formidable aventure éditoriale, celle qu’a connue le livre de photographie, de l’héliogravure à l’impression numérique. »

Dédié à l’inévitable Robert Delpire (1926-2017), disparu l’an dernier, l’ouvrage s’ouvre avec une introduction sensible de Jean-Luc Monterosso (« Au fil d’une histoire ») puis avec un essai qui, signé Irène Attinger, responsable de la bibliothèque de la MEP, dresse un panorama historique dont la science éprouvée le dispute malheureusement à la grande austérité (« Le livre photographique, une aventure éditoriale »). L’indispensable index des photographes, quant à lui, permet au lecteur de naviguer avec fluidité au milieu de ce dense florilège.

Écume
Élaborée par Irène Attinger, cette sélection d’une centaine de livres photographiques, couvrant soixante années (1956-2015), est en tous points remarquable (« La bibliothèque, un choix »). Plutôt que de retenir des pièces orthodoxes ou fastueuses, l’auteure n’a conservé que l’écume des choses, selon un élagage souverain : « Si la rareté d’un livre et sa valeur sur le marché peuvent intéresser le collectionneur, elles ne définissent pas l’intérêt de l’ouvrage du point de vue du développement de l’art de la photographie. Il est facile et séduisant de faire de la parution d’un beau livre la consécration d’un artiste. L’édition de luxe étant le plus souvent conservatrice, il faut constater que la majorité des livres incontestablement importants ne sont pourtant pas des “beaux livres”. Cela se reflète dans les choix faits ici. »

Partant, pour être efficace, le séquençage est systématique : en fausse page figure une docte présentation de l’ouvrage retenu, assortie de la reproduction de la couverture et des mentions bibliographiques, tandis que la belle page accueille des reproductions du livre déployé qui, en vertu d’une photogravure soignée, permettent de préserver la singularité physique de l’objet (épaisseur, texture, ombres).

Geste
De l’emblématique Life Is Good & Good for You in New York (Seuil, 1956) de William Klein aux récents Voyages italiens (Xavier Barral, 2015) de Bernard Plossu, le lecteur circule au milieu d’une histoire du livre photographique torrentueuse, peuplée d’artistes intenses (Robert Mapplethorpe, Nobuyoshi Araki, Boris Mikhailov) et d’éditeurs décisifs (Aperture, Scalo Verlag, Contrejour). Cette odyssée au milieu des imprimés et des images atteste la permanence de certaines hantises dans la constitution de cette bibliothèque majeure – ainsi le tropisme japonais – et révèle de véritables bijoux, souvent politiques – ainsi In Flagrante (Martin Secker and Warburg, 1988) qui voit Chris Killip fixer les gueules cassées et les corps brisés du Nord-Est désindustrialisé de l’Angleterre et, plus encore, l’emblématique Morire di classe (Einaudi, 1969), dénonciation de l’étau concentrationnaire de la psychiatrie italienne, signée Carla Cerati et Gianni Berengo Gardin.

Photographier et éditer sont deux gestes frères : l’un et l’autre permettent de fixer le transitoire et de donner à voir l’invisible profondeur du monde. Indissociés, ils enfantèrent des chefs-d’œuvre dont la Maison européenne de la photographie est sans conteste l’un des écrins cardinaux. À voir, à lire.





Jean-Luc Monterosso dir.,
Une bibliothèque,
Actes Sud/Maison européenne de la photographie, 224 p., 49,90 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : Une bibliothèque

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