Une autre rupture

Werner Hofmann contre les idées reçues

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 1995 - 362 mots

L’excellente collection \"L’Univers des formes\" approche des rivages plus proches que ceux auxquels elle nous avait habitués. Le brillant essai de Werner Hofmann, à l’irréprochable iconographie, devrait faire date dans l’histoire des idées.

Le siècle est une belle invention, si commode avec son lot de chiffres ronds et de bouleversements pendulaires, que l’histoire, croit-on, se plie à leur stricte découpe. L’histoire fait grand usage de ces entités fictives, qui recouvrent pourtant des réalités très différentes. L’essai de Werner Hofmann bouscule la notion sacro-sainte de siècle puisqu’il porte sur une période qui va de 1750 à 1830 et, comme si un tabou ne tombait jamais seul, il s’intéresse non pas uniquement à la France, dont on veut penser qu’elle éclaire le monde entier à cette époque, mais à l’Europe.
 
Ainsi David, Goya, Friedrich et Blake sont-ils réunis en un même lieu que l’auteur s’attache à reconstituer. Le pivot de cette rencontre inhabituelle est constitué par la désintégration de la tradition monofocale, qui s’était universellement imposée de Giotto à Tiepolo.

Mettant à jour une structure triptyque dans le Serment des Horaces de David, diagnostiquant une combinaison de différents niveaux de réalité dans Le Matin de Philipp Otto Runge, dans certaines gravures de William Blake, observant encore l’éclatement qui traverse Le Colosse de Goya, l’auteur se propose d’examiner plus avant ces "mouvements antagonistes [qui] libèrent et dispersent de façon centrifuge la multitude d’éléments disparates que recelait le consensus formel du tableau à champ unique".

La thèse de l’auteur n’a pas seulement de grands mérites dialectiques : elle nécessite un réexamen profond de la culture européenne de l’époque et, par de passionnantes comparaisons successives, elle rénove le regard que nous portons sur elle. Considérant aussi la sculpture et l’architecture, en particulier à travers le magnifique exemple de Piranèse et celui, transgressif, de Ledoux, Hofmann nous déshabitue avec talent des catégories toutes faites, en ne perdant jamais de vue les liens qui unissent la pensée visuelle et les théories de Diderot, Goethe, Leibniz et Baudelaire.

Werner Hofmann, Une époque en rupture, 1750-1830, traduit de l’allemand par Miguel Couffon, Gallimard, "L’Univers des formes", 720 p., 690 F. jusqu’au 31 décembre, 790 F. à partir du 1er janvier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : Une autre rupture

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