Evénement

Un petit Mai du livre d’art

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 29 avril 2005 - 1436 mots

Le rendez-vous des éditeurs d’art réunit cette année principalement des catalogues d’exposition. Certaines maisons ont décidé d’abandonner l’opération.

Créé il y a dix-sept ans afin d’encourager libraires et éditeurs à publier des ouvrages artistiques en dehors des périodes de fin d’année et organiser des animations à destination du public, le Mai du livre d’art réunit cette année 31 maisons d’édition, mais témoigne aussi d’un certain malaise dans le domaine. En effet, parmi les ouvrages sélectionnés, nombreux sont les ouvrages d’exposition, mais rares sont les écrits scientifiques de grande envergure. La maison Citadelles et Mazenod a pour sa part décidé de ne pas être présente au Mai du Livre d’art, les retombées de l’événement n’étant plus, comme l’a déclaré son président François de Waresquiel, « à la hauteur de l’investissement ». Même chose pour le Lieu unique à Nantes, qui n’a pas souhaité renouveler sa participation au Mai et organise de son côté en juin le festival « Le lieu et l’art » plus axé sur la création contemporaine. Malgré ce constat un peu inquiétant, certains ouvrages de qualité ont toutefois retenu notre attention.


Hymne à la création
Rares sont les couples d’artistes qui, comme Camille Claudel et Auguste Rodin, ont su captiver l’imagination. À travers un regard croisé sur leurs parcours artistiques respectifs, l’exposition itinérante
« Camille Claudel et Rodin, la rencontre de deux destins » retrace les diverses étapes de leur relation passionnelle (à partir du 26 mai au Musée des beaux-arts du Québec, dès l’automne au Detroit Institute of Arts et en 2006 à la Fondation Gianadda, à Martigny, en Suisse). Le catalogue qui accompagne l’exposition reprend son découpage chronologique en cinq parties.
Le récit s’ouvre sur les portraits des deux sculpteurs avant leur rencontre, preuve que Camille était déjà une artiste à part entière.
S’enchaînent le temps du bonheur (1882-1892), le temps des orages (1892-1899), l’indépendance
acquise par l’artiste et la femme Claudel, puis une dernière analyse comparative entre les œuvres des malheureux amants. Plusieurs études donnent une nouvelle dimension au portrait de Camille, trop souvent reléguée à l’espace réduit de son atelier, voire de sa cellule d’internement : l’amitié entretenue avec Claude Debussy, son statut de femme sculpteur et la notion de génie au XIXe siècle. Chaque chapitre est richement illustré de photographies aux angles innovants, permettant ainsi au lecteur de redécouvrir les œuvres sous un nouvel éclairage.
- Camille Claudel et Rodin, la rencontre de deux destins, sous la direction d’Antoinette
Lenormand-Romain, éditions Hazan, 2005, 384 p., 300 ill., 39 euros, ISBN 2-85025-998-5

Le Brésil en noir et blanc
Alors que l’Année du Brésil en France bat son plein avec les expositions du Grand Palais et du Musée des beaux-arts de Rouen (lire page 9), les éditions Gallimard révèlent les photographies du pays sud-américain réalisées au XIXe siècle. Quelque 320 clichés, dont un grand nombre d’inédits, ont été sélectionnés et soigneusement reproduits. Ils sont signés Revert Henry Klumb, Albert Frish, Augusto Riedel, Victor Frond, Auguste Stahl ou Hercule Florence. Les photographes immortalisent les paysages amazoniens, les vues de la baie de Rio ou Bahia, témoignant du développement des villes conçues sur le modèle européen.
Ils réalisent aussi quantité de portraits de la population métissée, à travers des images à mi-chemin entre le document ethnographique et le fantasme exotique européen, trahissant les ambitions colonialistes de l’empereur Pedro II alors au pouvoir.
- Bia et Pedro Corrêa do Lago, Brésil. Les premiers photographes d’un empire sous les tropiques, éditions Gallimard, 2005, 240 p., 50 euros, ISBN 2-07030-733-6

Petite histoire de musées
Critique d’architecture, Christine Desmoulins dresse le portrait du musée du XXIe siècle à travers 25 exemples significatifs, parmi lesquels le Musée du pays de Sarrebourg conçu par Bernard Desmoulin (2003), le Centre José-Guerrero à Grenade imaginé par Antonio Jiménez Torrecillas (2000), le Musée d’art moderne à Fort Worth (Texas, États-Unis) signé Tadao Ando Architect & Associates (2002), le Musée Hiroshige-Ando à Batou (Japon) de Kengo Kuma (2000), ou encore La Piscine – Musée d’art et d’industrie à Roubaix de Jean-Paul Philippon (2001). À travers l’histoire et la description très précise de ces constructions, l’ouvrage s’interroge plus largement sur la vocation du musée aujourd’hui. Une brève introduction sur l’histoire mondiale des musées, suivie de chapitres thématiques ou d’entretiens avec des personnalités comme Francine Mariani-Ducray (directrice des Musées de France) permettent au lecteur de facilement pénétrer dans le monde complexe des musées du XXIe siècle.
- Christine Desmoulins, 25 Musées, Éditions du Moniteur, 2005, 160 p., 45 euros, ISBN 2-28119-224-5.

Dans l’intimité des années 1950
« Face au nombre et à la variété des maisons construites en France dans les années 50 – des divers néo-régionalismes à la pseudo-modernité des promoteurs immobiliers – , les constructions individuelles novatrices ont été quelque peu oubliées », explique Raphaëlle Saint-Pierre, historienne de l’architecture, qui propose de réparer cette injustice et de rendre hommage au « particularisme de la villa moderne française », l’un des « rares espaces de liberté créatrice ». Dans une première partie, l’auteur analyse le vocabulaire architectural français qui se met en place à l’époque, nourri d’influences américaines, scandinaves, japonaises et brésiliennes, mais aussi régionalistes. Puis elle propose une visite détaillée de 25 maisons imaginées par Le Corbusier, Aalto et Johnson, Claude Parent, André Wogenscky, Jean Prouvé, André Bloc, Pierre Soulages… L’ensemble est servi par une iconographie de qualité qui souligne les particularités de chaque réalisation.
- Raphaëlle Saint-Pierre, Villas 50 en France, éditions Norma, 2005, 224 p., 58 euros, ISBN 2-90928-394-1

Le charme du béton
Décrié par le public, apprécié de la plupart des architectes, le béton est, depuis cinquante ans, le matériau le plus utilisé dans le monde pour la construction. Très technique, l’ouvrage des éditions Parenthèses raconte la genèse de ce matériau, longtemps considéré comme une boue informe seulement bonne à solidifier la masse des murailles et fondations. « Nous avons cherché à reconstruire le destin d’une technique que le monde architectural “moderne” devait accueillir avec un certain enthousiasme, produisant les œuvres marquantes du XXe siècle. Voilà peut-être le mobile de cette recherche : discerner le formidable capital d’humanité que cache le plus discrédité des matériaux », conclut l’auteur. L’iconographie n’est malheureusement pas à la hauteur de cette enquête passionnante, qui mériterait également un chapitre introductif pour mieux guider le lecteur.
- Cyrille Simmonet, Le Béton, histoire d’un matériau, éditions Parenthèses, Marseille, 2005, 224 p., 38 euros, ISBN 2-86364-091-7

La passion Matisse
Parallèlement à l’exposition sur les papiers découpés qui se tient actuellement au Musée du Luxembourg, à Paris, l’œuvre de Henri Matisse a inspiré deux ouvrages. Divisé en deux volumes, l’un
pour le texte, l’autre pour les images, La Pensée-Matisse laisse libre cours aux analyses de l’historien d’art Jean-Claude Bonne et du philosophe Éric Alliez. Ces derniers dressent un « portrait de l’artiste
en hyperfauve », examinant les enjeux philosophiques et artistiques des écrits du peintre. De son côté, Les Nus bleus-Henri Matisse est le second volume d’une série de trois. Petit format d’une vingtaine
de pages, il privilégie l’illustration, réalisée ici au pochoir à la gouache sur papier vélin d’Arches. En quelques mots, Anne Coron revient sur la genèse et l’originalité de l’une des dernières œuvres du peintre.
- Éric Alliez et Jean-Claude Bonne, La Pensée-Matisse, éditions Le Passage, 2005, un volume de texte de 384 p. et un volume d’images de 88 p., 120 ill. couleurs, 46 euros, ISBN 2-84742-064-9
- Les Nus bleus-Henri Matisse, texte d’Anne Coron, éditions Bernard Chauveau, 2005, 20 p. brochées, 5 ill. au pochoir, 58 euros, ISBN 2-91583-700-7

Archéologues sans frontières
Mari, Angkor, Zeugma, Rio Bec, Pétra, Mehrgarh, Xanthos, Alexandrie, Djoumboulak Koum… Autant de lieux mythiques dont les archéologues français ont cherché à percer les mystères.
Les démarches et résultat des fouilles qu’ils ont menées depuis vingt années dans le monde entier font aujourd’hui l’objet d’un important et passionnant ouvrage collectif. Après avoir rappelé les conditions dans lesquelles se sont mises en place les missions archéologiques à l’étranger et quels étaient leurs rapports avec les diplomates français mais aussi les autorités sur place, l’ouvrage rappelle les enjeux actuels attachés à la discipline : la lutte contre le pillage mondial des biens culturels, les nouveaux liens entre les sciences de la terre et l’archéologie, le patrimoine et le développement durable. Classé par zone géographique, puis subdivisé par période, il s’attache ensuite à rendre compte des résultats des missions. Photographies, plans détaillés, schémas explicatifs et cartes permettent une lecture facile et agréable de ces recherches scientifiques pourtant complexes. Un bel hommage au travail des archéologues qui œuvrent à l’émergence et la reconnaissance de civilisations parfois oubliées.
- Archéologies. 20 ans de recherches françaises dans le monde (collectif), éditions Maisonneuve & Larose / ADPF / ERC, 2005, 790 p., 68 euros, ISBN 2-70681-873-5

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°214 du 29 avril 2005, avec le titre suivant : Un petit Mai du livre d’art

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