Japon

Traités du trait

Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2007 - 546 mots

Histoires de manga, d’hier et d’aujourd’hui.

Estampes et manga : les images d’un japon peuplé d’élégantes en kimono se promenant sous les cerisiers en fleurs et celles d’une culture populaire pour adolescents, ou les deux clichés entre lesquels oscille la perception occidentale de la culture graphique nippone. Entre ces deux écueils, s’est pourtant tissée une histoire complexe dont l’actualité éditoriale permet enfin de dénouer certains fils.
Tandis que la Bibliothèque nationale de France diffuse pour la première fois dans l’Hexagone une sélection de planches de la Manga d’Hokusai, l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) publie partiellement deux albums d’estampes des peintres Shunboku et Morikuni. Un troisième ouvrage intitulé Mille ans de manga offre un panorama richement illustré de l’univers graphique japonais du XIIe au XXe siècle.

Transmission
Entre ces trois ouvrages, tout est affaire de reproduction et de transmission. L’album de Shunboku, Répertoire d’études peintes (1761), est ainsi une compilation d’œuvres célèbres, que le dessinateur a sélectionnée pour assurer leur postérité avec une véritable conscience historique. Quant aux Études pour s’initier au maniement du pinceau de Morikuni (1748), elles sont un des premiers exemples imprimés de ces cahiers de modèles jusqu’alors conservés dans le secret des écoles de peinture.
Lorsqu’il met au point sa Manga, ou recueil de dessins, publiée en quinze volumes entre 1814 et 1878, Hokusai a connaissance de ces albums et s’en inspire. Le « fou du dessin », mieux connu en Occident pour ses séries d’estampes de paysages, fait de sa Manga un répertoire de formes, une méthode destinée à l’apprentissage du dessin, autant qu’une tentative de connaissance exhaustive du monde par le trait. Hommes, végétaux, animaux, créatures fantastiques, mais aussi éléments d’architectures et dernières avancées techniques, rien n’échappe à l’appétit de représentation du maître. La Manga est une éblouissante exploration graphique, entre fascination pour l’infinie possibilité des variations sur un thème, et concentration essentialiste du geste. Le terme manga est composé de deux idéogrammes : Man qui signifie « exécuté de manière rapide et légère » et Ga « dessin ». Hokusai est à l’origine de ce mot qui désigne aujourd’hui en Occident les productions nippones modernes de bande dessinée. Au Japon, il est au contraire toujours utilisé pour décrire les dessins anciens et on lui préfère le terme de « comics » quand il s’agit de créations récentes. La précision lexicale n’est pas seulement affaire de spécialistes, tant elle reflète le malentendu persistant dans la réception des œuvres graphiques japonaises. Comme les mangas d’aujourd’hui, les estampes d’hier étaient conçues comme des objets de culture populaire bon marché. C’est cet ancrage des dessinateurs actuels dans une tradition graphique séculaire que décrit l’ouvrage Mille ans de manga. Destinés à l’aristocratie, les premiers rouleaux peints au VIIIe siècle racontent la vie quotidienne à la cour ou caricaturent les hommes sous des traits animaux. Narration par dessins successifs, humour, hardiesse des perspectives, maints éléments qui feront plus tard la spécificité du dessin japonais y sont en germe. Quelles que soient les formes, la conception nippone de la pratique est avant tout une certaine façon d’explorer la discipline et de regarder le monde à travers elle.

- Jocelyn Bouquillard, Christophe Marquet, Hokusai Manga, coéd. Seuil/BNF, Paris, 2007, 159 p., 25 euros, ISBN 978-2-02-093321-6. - Esquisses au fil du pinceau, Shunboku, Morikuni, coéd. Picquier/INHA, 123 p., 29 euros, ISBN 978-2-87730-971-4. - Brigitte Koyama-Richard, Mille ans de manga, Flammarion, Paris, 2007, 247 p., 39 euros, ISBN 978-2-08-120-063-0.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°268 du 2 novembre 2007, avec le titre suivant : Traités du trait

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