Catalogue raisonné

Tout beau tout Bosch

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2016 - 759 mots

Plaçant les questions d’attribution au cœur de son propos, le catalogue raisonné de l’œuvre du peintre flamand livre aussi une synthèse claire des différentes interprétations de ses peintures.

Les deux rétrospectives consacrées à Jérôme Bosch qui marqueront cette année 2016 ont fermé leurs portes à Bois-le-Duc (Pays-Bas) et à Madrid. L’amateur de Bosch pourra néanmoins se replonger dans le catalogue raisonné des œuvres de l’artiste. Cet ouvrage édité en français chez Actes Sud en février dernier met à jour le résultat des recherches effectuées par une équipe néerlandaise réunissant des historiens de l’art, un restaurateur, un photographe… Dans la perspective de l’exposition du Noordbrabants Museum de Bois-le-Duc, les spécialistes ont soumis « tous les tableaux et dessins de Bosch disséminés dans le monde » à un « examen approfondi grâce aux techniques optiques modernes ». Ainsi, sans délaisser l’étude des archives et du style, ce Bosch Research and Conservation Project (BRCP) a-t-il fait usage de la dendrochronologie (datation de l’âge du bois) et des rayons infrarouges relevant les tracés préparatoires. Avec un but avoué : séparer les tableaux et dessins relevant du maître de ceux exécutés par ses collaborateurs d’atelier ou ses suiveurs.

La plupart des musées ont soumis leurs œuvres – qui ont souvent été restaurées par la même occasion – à l’examen. Seuls Le Jardin des délices et Les Sept Péchés capitaux et les quatre dernières étapes humaines du Prado, ainsi que Le Jugement dernier de l’Académie des beaux-arts de Vienne, n’ont pu être approchés par le BRCP.

Le corpus boschien passé à la loupe
Notices étayées à l’appui, l’ouvrage rend son verdict sur chacune des œuvres composant le corpus boschien. Vingt et un panneaux peints sont attribués à Jérôme Bosch lui-même ; trois relèveraient plutôt de son atelier ; sept, de suiveurs ; et deux, de l’atelier ou de suiveurs. Si un fragment d’une Tentation de saint Antoine (The Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City), qui a connu beaucoup de dégradations et de repeints, devient un Bosch – eu égard à un dessin sous-jacent qui rappellerait certaines des plus fameuses œuvres du maître –, plusieurs tableaux ont perdu l’étiquette « Bosch » qui leur était communément attribuée. Ce n’est pas toujours une surprise : l’examen de L’Escamoteur venant du Musée municipal de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) a confirmé les soupçons que la communauté scientifique partageait depuis longtemps. L’œuvre serait une copie datée du début du XVIe siècle d’une œuvre de Bosch. L’absence de modelage précis dans le dessin sous-jacent précis « confirme que la composition n’a pas été élaborée sur le panneau mais […] copiée d’un modèle préexistant », selon le BRCP.

On remarque que, bien souvent, ce ne sont pas d’après des critères de qualité que se fonde une « désattribution ». Par sa surprenante composition et son remarquable niveau technique, le Portement de croix du Musée des beaux-arts de Gand apparaît comme un tel chef-d’œuvre qu’on a longtemps pensé qu’il ne pouvait avoir été exécuté par d’autre main que celle d’El Bosco. Pourtant, des analyses de différente nature montrent que l’œuvre, d’esprit très boschien, serait isolée de l’artiste et ses collaborateurs. Le BRCP l’attribue à un suiveur, peut-être du deuxième quart du XVIe siècle anversois. Peut-on parler de déclassement pour les œuvres passées dans le camps des suiveurs ? Non si l’on considère qu’une œuvre peut être admirable sans avoir pour auteur un grand nom. Mais, comme vient le montrer le chapitre introductif « Qu’est-ce qu’un Bosch ? », le statut d’« œuvre originale », relativement à la création du peintre flamand, est considéré comme fort important depuis le XVIe siècle.

La question est toujours très sensible et la polémique n’est jamais loin. Contrarié par les « désattributions » de trois de ses Bosch, le Prado a refusé de prêter les œuvres déclassées par le BRCP à l’exposition de Bois-le-Duc. On aurait cependant tort de résumer ce catalogue raisonné à des questions d’autographie et aux controverses qu’elles ont pu engendrer. Outre son apport indéniable dans la connaissance « physique » des œuvres – il a ainsi montré comment la mauvaise conservation des tableaux a longtemps pu entacher leur lisibilité et leur interprétation –, il a le mérite d’expliciter de manière claire et factuelle les différents aspects des œuvres, de l’iconographie à la signification.

On est loin des envolées lyriques qui émaillent souvent l’analyse du « peintre des diableries » d’interprétations aussi brillantes que fantaisistes. Et les petits résumés qui accompagnent chaque notice pour en synthétiser le contenu confèrent à cette somme une maniabilité qui fait que ce beau livre ne servira pas seulement à décorer un salon.

Jérôme Bosch, Peintre et dessinateur

catalogue raisonné, collectif sous la codirection de Matthijs Ilsink et Jos Koldeweij, éd. Actes Sud, Arles, 607 p., 99,95 €. Étude technique des œuvres réalisée par le BRCP et consultable sur boschproject.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : Tout beau tout Bosch

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