Musique

En partenariat avec TSF JAZZ

Sophie Alour : Peindre me permet d’aller chercher plus profondément en moi

Par Laure Albernhe · L'ŒIL

Le 24 mars 2020 - 708 mots

Chaque mois, Laure Albernhe, l’animatrice des Matins Jazz sur les ondes de TSF JAZZ, rencontre un musicien inspiré par les arts visuels. Ce mois-ci la saxophoniste Sophie Alour.

Sophie Alour est une saxophoniste aussi élégante que déterminée. Si elle joue volontiers dans les groupes des autres, elle mène depuis une quinzaine d’années des projets personnels pour lesquels elle compose et alterne les instruments, de la flûte à la clarinette. Une palette de talents auxquels s’ajoute désormais la pratique de la peinture.

Comment avez-vous appris à peindre ?

Je n’ai pas plus de formation en peinture qu’en musique : j’ai appris la clarinette à Quimper, puis j’ai loué un saxophone et au bout de deux ans, je me produisais déjà. Pour la peinture, j’ai bien essayé de suivre des cours pendant un an mais ça m’a coupé l’envie de peindre, alors j’ai arrêté. L’orthodoxie du cours ne me convient pas.

Peignez-vous beaucoup ?

Ça dépend des périodes : la peinture me bouleverse tellement que je ne peux pas faire autre chose. Je ne peux pas passer de la musique à la peinture, c’est l’un ou l’autre. C’est assez récent dans ma vie. J’ai toujours dessiné mais

la peinture me faisait peur : j’ai usé de stratagèmes pour pouvoir acheter mon matériel sans que personne ne le sache ! Mais quand je m’y suis mise, je n’ai fait que ça pendant huit mois. Je passe donc de longues périodes à peindre, seule, puis je suis rattrapée par l’envie de jouer en concert avec d’autres musiciens. Car j’ai aussi besoin de la rencontre avec l’autre, de la surprise et du risque que promet cette rencontre. Finalement, la peinture et la musique sont assez complémentaires. Aujourd’hui, je ne cache plus cette activité de peintre et je prends même beaucoup de plaisir à montrer ce que je fais ; il m’est même arrivé d’exposer dans mon village. Je peins chez moi, jamais en extérieur. Je me prends parfois comme modèle et m’inspire de choses très diverses : ça peut être une photo, un livre ou une façon de faire.

Quels sont les peintres dont vous vous sentez proche ?

En ce moment, je m’intéresse au travail de Serge Labégorre, un peintre qui vit au Pays basque. Je l’ai découvert dans un magazine d’art, puis je suis allée voir ses toiles dans une petite galerie rue de Seine, à Paris. Sa peinture – ses portraits, surtout – me bouleverse par sa vérité et sa justesse, en dépit de l’apparente grossièreté du trait. Ce peintre dit que lorsqu’il réussit un regard, c’est toute l’humanité qui le regarde. Je trouve cela fascinant de réussir à atteindre la vérité du vivant avec cette économie et cette fulgurance. Ce que je retrouve aussi chez Basquiat. Je suis également très touchée par les paysages de Patrice Giorda ou ceux du Breton Jean Le Merdy, qui ne cherchent pas à être « jolis » et qui peuvent être même assez rudimentaires dans leur forme. Mais là aussi, ils touchent à une vérité. Derrière cette apparente simplicité, il y a une maîtrise incroyable. C’est aussi ce que je vise, dans la peinture comme dans la musique.

Vous avez donc la même démarche dans la musique et dans la peinture ?

J’imagine que cela se rejoint, puisque je suis la même personne qui s’exprime. Ce qui est assurément commun, c’est que je cherche dans l’une comme dans l’autre à dire beaucoup de choses avec peu de moyens. J’ai, dans ces deux formes d’art, l’envie de saisir quelque chose de la beauté ou de la violence du monde. Mais j’ai l’impression d’avoir une plus grande liberté dans la peinture, alors même que je la maîtrise moins. Il me semble que peindre me permet d’aller chercher plus profondément en moi des sujets que je ne pourrais jamais aborder en musique. Et puis j’adore la solitude, ce face-à-face avec moi-même dans la peinture, qui se rapproche un peu de l’activité de composition. Mais ce n’est pas le même rapport au temps. La peinture reste. Alors que dans le jazz et l’improvisation, l’instant, par définition, ne pourra plus jamais se reproduire. Chaque instant s’efface à jamais devant celui qui suit. Il me semble que la peinture, au contraire, cherche à perpétuer l’instant, elle renouvelle l’émotion à chaque regard.

À écouter
Le dernier album de Sophie Alour, Joy, sur lequel la saxophoniste invite le joueur de oud Mohamed Abozekry. www.sophiealour.com
À retrouver
Laure Albernhe et Mathieu Beaudou dans les Matins Jazz, du lundi au vendredi, de 6 h à 9 h 30 sur TSF JAZZ, la radio 100 % jazz. www.tsfjazz.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°733 du 1 avril 2020, avec le titre suivant : Sophie Alour : Peindre me permet d’aller chercher plus profondément en moi

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