Divin

Répertoire de génie(s)

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 27 avril 2016 - 587 mots

Un nouvel ouvrage de référence sur la manière dont les artistes du XIXe siècle ont représenté les artistes du passé et ont défini la notion de « génie ».

Les presses universitaires Paris-Sorbonne (PUPS) publient une adaptation de la thèse de Thierry Laugée – soutenue en 2009 – consacrée à la représentation du génie artistique dans la première moitié du XIXe siècle français. En s’engageant dans cette étude, l’historien de l’art s’avançait en terrain miné. C’est sans détour ce que signifie son directeur de recherche Barthélémy Jobert, dans la préface de Figures du génie dans l’art français (1802-1855). Le sujet avait en effet déjà été traité par Francis Haskell en 1987, dans De l’art et du goût. Jadis et naguère, publié chez Gallimard.  S’il s’inscrit dans le sillage de son prédécesseur, le livre de Thierry Laugée deviendra sans doute une nouvelle référence sur une thématique de recherche très en vogue de l’histoire du goût, récemment mise en lumière au travers de la brillante exposition (auquel l’auteur a prêté sa plume pour deux essais du catalogue) « L’artiste en représentation, Images des artistes dans l’Art du XIXe siècle » (voir JdA n° 385, du 15 février 2013).

Inexplicable supériorité
L’ouvrage a d’abord l’intérêt de revenir aux sources. Recensant toutes les œuvres présentées au Salon ou dans les expositions du début du XIXe siècle, l’auteur a établi un nouveau corpus de représentations de peintres, sculpteurs, littérateurs, musiciens et autres maîtres du passé dont le pinceau ou le ciseau du début du XIXe siècle s’est délecté. Il a ainsi répertorié vingt-quatre artistes – au premier rang dequels Raphaël, Michel-Ange ou Giotto – représentés plus de dix fois dans la première moitié du siècle. Loin d’analyser le traitement de ces figures artistiques les unes après les autres, l’auteur a choisi de dérouler les catégories d’épisodes types de la vie d’un artiste, de l’enfance à la mort, montrant comment les artistes du XIXe siècle, de Devéria à Ingres, ont cherché à effectuer une démonstration de leur inexplicable supériorité au travers de fragments d’existence très codifiés. L’intérêt de cette structure panoptique se révèle au moment de la conclusion de l’ouvrage. Elle propose de faire de la représentation du génie artistique – que Vivant Denon a été le premier à classer dans le registre de la peinture anecdotique, à la croisée de la peinture d’histoire et de la peinture de genre – un véritable art religieux, qui aurait pour bible Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (1801) et pour textes apocryphes les biographies d’artistes que le XIXe siècle a rédigé en masse. Pour l’auteur, le génie revu à la sauce XIXe siècle ne bénéficie pas du traitement réservé au grand homme – célébré pour ses actions ayant marqué l’histoire – mais plutôt de celui réservé aux élus, aux divinités vénérées pour leurs productions issues d’une inspiration qu’on ne peut expliquer.

Si cette conclusion a le mérite de prendre parti et de proposer au lecteur une grille de lecture synthétique à l’ensemble d’un contenu très foisonnant, elle élude un peu trop une large part de l’ouvrage consacré à la contiguïté du génie et de la folie, une thématique à laquelle Francis Haskell ne s’était pas intéressé. Se référant de manière exhaustive aux textes et aux théories scientifiques de l’époque – trop souvent relayés sans revenir aux sources –, l’auteur explique comment la psychiatrie a cherché à déterminer les particularités pathologiques des personnalités hors normes et la manière dont ses recherches ont été réinterprétées dans la représentation d’un artiste malade, victime de son génie.

Thierry Laugée, Figures du génie dans l’art français (1802-1855), 2015, Presses Universitaires Paris Sorbonne, 445 p., 39 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°456 du 29 avril 2016, avec le titre suivant : Répertoire de génie(s)

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