Cinéma

Réhabilitation

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2008 - 425 mots

Dès l’aube elle traverse les champs d’un pas décidé, alourdi par ses sabots de bois.

Toute la matinée elle astique, récure, brosse, lave, puis tend la main pour récupérer la petite pièce qu’elle s’empresse d’échanger chez le droguiste contre un pot de blanc. Au pas de course, elle regagne sa chambre de bonne, s’enferme à double tour. Ça y est, ça peut commencer : les couleurs vont naître sur la palette, les fleurs et les fruits vont gagner peu à peu tout l’espace de la toile, Séraphine va enfin s’évader.
Le film de Martin Provost ressuscite Séraphine Louis (1864-1942), dite « Séraphine de Senlis », peintre autodidacte découverte par le marchand d’art moderne Wilhelm Uhde, alors qu’elle était sa femme de ménage. Fasciné par cette peinture libérée de toute école, celui qui révéla le talent du Douanier Rousseau y voit l’expression du primitivisme moderne, la manifestation directe de l’inconscient. Sous la protection de son mécène, la petite bonne dévote et esseulée, pour qui la peinture se révéle une véritable « nécessité intérieure », connaît quelques années de confort matériel, et un petit succès qui la dépasse, la conduisant bientôt à la folie. Après sa mort, Uhde lui organise en 1945 l’exposition personnelle qu’elle espérait tant à la Galerie de France, à Paris. Cet automne, le Musée Maillol, à Paris, exposera ses œuvres grâce aux héritiers de Dina Vierny, qui avait acheté la collection du marchand allemand à sa sœur, Anne-Marie Uhde.
Évitant l’écueil de la sensiblerie ou du pathétique, ce film à l’atmosphère bleutée brosse le portrait émouvant d’un personnage « hors norme », incarné par une Yolande Moreau éperdue (qui serait le sosie du peintre, d’après un portrait retrouvé à la bibliothèque Kandinsky peu avant le tournage). Mais il apporte aussi, sérieuses recherches à l’appui, un témoignage historique sur le processus de reconnaissance des « naïfs » en tant qu’artistes. Leur accession au marché de l’art doit beaucoup à la détermination de personnalités comme Wilhelm Uhde, dont les goûts défiaient ceux de ses contemporains. Martin Provost évoque ainsi l’ambiguïté du rapport qu’entretenaient le marchand et l’artiste. Celle-ci n’avait jamais pensé que cette peinture (que le film montre largement), dictée par une « voix intérieure » et exécutée comme un besoin vital, puisse être de l’art et avoir une valeur marchande.

Séraphine, de Martin Provost, durée 2 heures 05 m, sortie en salle le 1er octobre. Exposition « Séraphine Louis », du 1er octobre 2008 au 5 janvier 2009, Musée Maillol/Fondation Dina Vierny, 61, rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 42 22 59 58.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Réhabilitation

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