Puvis de Chavannes : Tout sur le peintre

Le Journal des Arts

Le 9 juin 2010 - 784 mots

Le catalogue raisonné de l’œuvre peint de Pierre Puvis de Chavannes vient de paraître. Une référence.

En 1972 à l’université de Yale (Connecticut), Aimée Brown Price soumettait pour sa thèse de doctorat une étude critique des œuvres sur toile de Puvis de Chavannes (1824-1898) ainsi qu’un catalogue de son œuvre peint. Un travail de référence qui fut publié quelques années plus tard. Depuis, Aimée Brown Price a poursuivi et élargi ses recherches, affinant sa propre compréhension de l’artiste. Outre la rédaction de nombreux articles, elle a contribué à des expositions majeures sur l’accomplissement et l’influence de Puvis, parmi lesquelles la rétrospective exemplaire du Musée Van Gogh (Amsterdam) en 1994. Son dévouement à l’artiste atteint aujourd’hui son point culminant avec la publication de deux volumes imposants et richement illustrés. L’auteur a modestement utilisé l’article indéfini pour l’un des titres (Un catalogue raisonné), mais son ouvrage prévaudra encore longtemps.

Regard exhaustif
Avec 450 œuvres, dont beaucoup de fresques décorant des institutions en France et même à Boston, cette somme offre un regard exhaustif sur l’artiste qui a sans doute peint le plus de mètres carrés depuis l’infatigable Luca Giordano au XVIIe siècle. Le premier volume est une monographie traditionnelle, dont les chapitres étoffés d’innombrables nouveaux documents familiaux et officiels retracent les décennies 1850 à 1890. Puvis apparaît en s’essayant aux différentes options artistiques offertes à un jeune artiste ambitieux dans les années 1850. Une œuvre de 1853, où une héroïne boit du sang pour sauver la vie de son père, témoigne d’un Puvis explorant la terribilità romantique à la manière de Delacroix. En 1857, une scène décrivant les pompiers d’un village se précipitant sur un incendie le voit intégrer les provocations réalistes de Courbet. Mais lorsque le peintre décore un château familial, au milieu des années 1850, son esthétique murale est prête et les caractéristiques de son art parfaitement en place. Des personnages monumentaux et stylisés à la gestuelle ample se lisent aisément à distance. Les couleurs sourdes, piquées de quelques pointes de rouge, forment une large unité de tons. Le monde contemporain est en retrait et nous sommes transportés vers des univers bibliques, puis arcadiens – une approche que Puvis raffinera jusqu’à la fin de sa vie.

S’ensuivirent d’importantes commandes publiques pour décorer les cages d’escaliers des musées et monuments nationaux. Il était le premier artiste officiel de son époque, adepte d’une imagerie classique, évoquant l’ordre et le calme, exécutée avec un talent technique consommé et une conviction indéniable. L’art de Puvis flattait les grandes aspirations politiques et sociales des Français, particulièrement dans les années suivant l’humiliation de la guerre franco-prussienne (1870), et la nation reconnaissante le couvrit d’honneurs. En général, ces honnêtes intentions génèrent peu d’intérêt chez les jeunes artistes. Ce fut différent pour Puvis. Étonnamment, les avant-gardes ne cessèrent de l’étudier, parmi lesquelles Renoir (à la fin de sa vie), Gauguin et Seurat, puis Picasso et Matisse, pour ne citer que les géants. Ils comprirent l’audace de ses décisions esthétiques, la manière dont il a ouvert la voie au-delà du réalisme bourgeois, et sa stylisation des formes, en particulier le nu, qui leur a offert l’idée d’une authenticité primitive qu’ils recherchaient avec avidité.

L’ancêtre du modernisme
Aujourd’hui, la plupart des travaux sur Puvis de Chavannes s’appliquent à démontrer en détail son influence capitale sur l’art moderne. Les critiques usent de superlatifs. Pour Serge Lemoine, commissaire de la monographie organisée en 2002 au Palazzo Grassi (Venise), Puvis est, simplement, « Le Créateur ». C’est là que le travail herculéen d’Aimée Brown Price est pleinement justifié : Puvis a enfin l’imposant monument scientifique que son statut d’ancêtre du modernisme mérite.

De ces deux volumes, le catalogue raisonné sera le plus consulté dans les décennies à venir. Structuré autour des grandes commandes murales, dont chacune a droit à un texte introductif, il énumère les peintures qui leur sont en relation – tant les études préparatoires que les doubles. Les portraits, les tableaux de petits formats comme le célèbre Pauvre pêcheur (1881), et les ravissants pastels sont analysés par ordre chronologique. En appui, de nombreux dessins préparatoires illustrent les notices des tableaux concernés. S’ensuivent les listes des tableaux détruits ou perdus, les peintures nécessitant une étude plus poussée, et le volume s’achève sur 178 œuvres recalées. Les index – un par volume, bizarrement, au lieu d’être fusionnés – sont exhaustifs. Il est difficile de trouver le moindre défaut, à l’exception de l’absence d’un index des lieux et des anciens propriétaires, addenda de rigueur dans les catalogues raisonnés modernes. Si vous cherchez ce superbe tableau de jeunesse que vous avez vu il y a quelques années au Chrysler Museum of Art de Norfolk (Virginie), il faudra vous souvenir de son titre pour le retrouver.

Christopher Riopelle
Conservateur des collections post-1800 à la National Gallery de Londres

Aimée Brown Price, Pierre Puvis de Chavannes. Vol. I : The Artist and his Art. Vol. II : A CATALOGUE RAISONNE OF THE PAINTED WORK, Yale University Press, New Haven (États-Unis), 450 p., 1 000 ill. couleur, environ 200 euros, ISBN 978-0-3001-1571-0

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°327 du 11 juin 2010, avec le titre suivant : Puvis de Chavannes : Tout sur le peintre

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