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Politique de l’art ou de l’émotion

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2008 - 733 mots

Réflexions sur l’autonomie de l’art et son implication dans les affaires du monde.

Alors que la politique culturelle se trouve devant des chemins incertains pendant que la (sinon le) politique semble l’objet d’une désaffection ou d’une réduction à son immédiateté médiatique, cette dimension-là de l’art est plus que jamais une question débattue, complexe, avec impasses et solides impensés.
La charge d’Alain Brossat grince fort. Universitaire et philosophe, Brossat publie le plus souvent sur des sujets d’histoire contemporaine et politiques. Il s’en prend ici à « la prolifération sans fin du tout-culturel, avec tous les effets d’indifférenciation, de saturation et de dépolitisation que celui-ci produit » (p. 138). Mêlant références historiques, philosophiques, littéraires et anecdotes, Brossat relève le retournement progressif de figures (la « défense de la culture », « l’exception culturelle ») et de valeurs (« l’art émancipateur ») dans le discours politique et l’air du temps pour une culture plus que jamais « asphyxiante » (Dubuffet en 1968). En prenant des formes télévisuelles, institutionnelles et ministérielles, elle va à rebours de son ambition initiale, sous la pression de la raison commerciale, et se fait le symptôme d’une réalité politique de la démocratie de l’acquiescement et de l’indistinction consumériste aux dépens de toute « éthique de la discussion » et de la délibération. La thèse prend sa force dans ces pages (section 11 de l’épilogue) qui dessinent cependant le lieu de l’art comme celui de l’insoumission et de la rareté.

Formes d’un art politique
Si Brossat dénonce l’esthétisation généralisée, au sens vulgaire, Aline Caillet cherche au contraire ce que pourraient être aujourd’hui les formes d’un art politique, précisément en cherchant à réarticuler la réalité esthétique. Dans un livre nourri, didactique et accessible, l’auteur, enseignante en philosophie elle aussi, tente de cerner le lieu d’une prise de l’art sur le champ politique. Derrière Benjamin, Adorno, mais aussi Boltanski et Chiapello (à qui l’on doit la formulation de « critique artiste » du titre et une analyse fine de la complexe réalité de la « récupération » par le système socio-économique), c’est la question de la spécificité d’une expression proprement artistique et plus encore plastique qui traverse le livre. Se confrontant aux diverses stratégies et attitudes historiques (les logiques d’affrontement des avant-gardes, de participation de l’engagement) et aux formes de pratiques artistiques (de la performance au documentaire), Aline Caillet relève les paradoxes des ambitions politiques de l’art : la réduction au discours militant (de dénonciation, d’opposition ou de connivence), l’antinomie entre nécessaire autonomie de l’art et implication dans les affaires ordinaires du monde… La formule de la « critique artiste » permet de se dégager de l’idée étroite d’un art politique, mais aussi de disqualifier (parfois plus pour soutenir son hypothèse contemporaine que par pertinence historique) telle pratique (la performance) ou telle œuvre (Haacke ou Hirschhorn sont ainsi balayés d’un revers de main). Pensée à partir de la production et de la position de l’artiste, la démarche conduit à réarmer la notion d’esthétique dans son origine étymologique et théorique, comme « construction particulière que l’œuvre construit avec le spectateur » : c’est cette prise en compte dans le processus de production de sa réception (H. R. Jauss), de l’adresse (Sylvie Blocher, en préface), pour alimenter une esthétique de résistance portée aussi par la part du plaisir dans l’expérience esthétique.
La « revanche des émotions » revendiquée par le titre de Catherine Grenier, auteur de plusieurs essais et monographies, conservatrice en chef qui dirige le projet du futur Centre Pompidou-Alma, est d’une bien autre nature : exit l’ambition critique, la « foi » retrouvée dans la modernité s’habille de mystère (médiéval) et du noir costume de l’angoisse de l’origine, d’empathie et de pathos, d’une « mémoire flottante plutôt que d’érudition » dont pourtant l’auteur ne manque pas. L’exposé est volontaire, mais ne confirme guère que ses propres prémisses, bien politique à force de ne pas l’être.

- Alain Brossat, Le grand Dégoût culturel, Le Seuil, collection Non conforme, 2008, 196 p., 15 euros, ISBN 978-2-02-0096731-0.

- Aline Caillet, Quelle Critique artiste ? Pour une fonction critique de l’art à l’âge contemporain, L’Harmattan, collection L’art en bref, 2008, 144 p., 13,50 euros, ISBN 978-2-296-05660-2.

- Catherine Grenier, La Revanche des émotions, Essai sur l’art contemporain, Le Seuil, collection Fiction & Cie, 2008, 208 p., 19 euros, ISBN 978-2-02-097878-1.

- Luc Boltanski et ève Chiapello, Le nouvel Esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, 844 p., 29,90 euros, ISBN 2-07-074995-9.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : Politique de l’art ou de l’émotion

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