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Monographies

Plaisirs polymorphes

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2010 - 799 mots

Richard Hamilton, Paul Chenavard, André Raffray, Simon Starling, Alain Bernardini… font l’objet de monographies à la roborative unité

La monographie ne fait pas genre au sens où ce qui la définit n’est ni vraiment une forme éditoriale, ni une exigence de contenu, de méthode ou de forme d’écriture. Si les bibliothécaires y trouvent une catégorie pertinente à leur besoin de classement, c’est que la monographie décrit surtout un genre de lecture (et bien sûr, à l’origine, de travail) et de satisfaction, voire de plaisir qui lui est lié : la monographie est un tout, qui se propose sinon d’épuiser son objet du moins de construire autour de son sujet une unité de sens, une cohérence sinon une globalité. Autour d’un nom, d’un thème, d’une œuvre, d’un projet, la monographie tend même modestement à toucher à cet imaginaire du « livre-monde ». Les titres retenus ici ont tous cette roborative unité, cette délicieuse qualité.

Engagement social
Issu d’une thèse universitaire, qui marque la publication par l’abondance de notes et une rédaction plutôt raide, le Richard Hamilton de Brigitte Aubry, aux éditions Presses du réel, fait rentrer, avec la précision de l’historienne, dans l’itinéraire de ce peintre dont la reconnaissance historique est inversement proportionnelle à la visibilité réelle et au commentaire, en particulier en France. Suivre Hamilton avec cette patience permet de mesurer comment, du début des années 1950 à aujourd’hui, il a construit un itinéraire critique majeur dans la culture occidentale d’un gros demi-siècle et ses représentations, avec la peinture comme langage. La petite cinquantaine de reproductions rend impatient d’en voir plus, sinon en exposition, du moins en reproduction dans un album.

Les mêmes Presses du réel prennent cette fois à contre-pied l’histoire de l’art positive avec la passionnante (et bien écrite) étude de Thomas Schlesser sur Paul Chenavard. Au revers de l’histoire triomphale de la modernité artistique et présentée sous le seau du fiasco, le livre interroge une figure paradoxale de l’art du XIXe siècle, qui fait toucher à la fois à la représentation de l’art et au rôle de l’artiste, alors et jusqu’à nous. Dénoncé comme tenant de l’« art philosophique » par Baudelaire, Chenavard est de ceux qui nourrissent (et se nourrissent d’) un mythe moderne : celui de l’engagement social de l’artiste face à l’histoire et à la pensée. Le mythe, on le sait, a la peau dure, ressassé ad nauseam par la doxa contemporaine. Pourtant, « Chenavard pérora bien plus qu’il ne peignit », résume Schlesser, et c’est précisément sur le décalage entre une intention et une réalisation artistiques que se construit l’idée de l’« échec » de Chenavard et la problématique de l’efficience de l’art.

Le peintre des peintures : par son sous-titre, le catalogue désigne André Raffray, un autre irréductible de l’art pictural, disparu brutalement il y a quelques semaines alors qu’il venait d’inaugurer une exposition au Musée des beaux-arts de Brest. Malgré une maquette sans grand mérite, le catalogue, tant par ses nombreuses reproductions que par les textes qui le composent, fait une traversée dans cette œuvre au second degré, qui souvent au crayon de papier fait de la peinture un mode du voir.

De l’exposition au catalogue, et vice-versa
Catalogue des expositions éponymes au Mac/Val, à Vitry-sur-Seine, et au Parc Saint Léger, à Pougues-les-Eaux, Thereherethenthere de Simon Starling les prolonge comme « livre-concept » : un volume avec texte, entretien, reproductions et appareil scientifique joue, et joue bien, le jeu du catalogue. L’autre volume, inséparable, constitue son double muet, livre blanc qui reprend comme une pièce en multiple l’objet d’une œuvre de l’exposition elle-même, dans un aller et retour en abyme du catalogue et de l’exposition. Du Starling comme on aime ! Alain Bernardini prend, lui aussi, le livre comme une partie de son travail. Les toutes jeunes éditions Captures prolongent ainsi un travail de commande avec la communauté d’un hôpital de Villejuif, dans le cadre des Nouveaux commanditaires (1) : près de 100 pages de ses portraits sociaux précédant la partie documentaire classique, mais que l’on attendait sur ce travail discret et engagé.

L’architecture peut à son tour faire l’objet d’un travail monographique et pas seulement pour spécialiste : la collection « Édifice » des éditions Al Dante le prouve, sur un principe d’association d’une œuvre architecturale accompagnée de textes en forme de croisement de regard, discours technique et littéraire donnant au bâti et au bâtir une épaisseur trop souvent occultée. On retrouve bien en cela Rudy Ricciotti, architecte mais aussi éditeur puisqu’il préside cette maison d’édition dynamique et dirige la collection. Blaine et Ricciotti, Curnier et Van de Wyngaert, Deslaugiers et Quintane : une passerelle, un château d’eau, un viaduc et l’univers d’auteurs visiblement libres, autant d’associations qui font là encore de chacun des trois titres un univers autonome, un fragment de monde portatif. Bref, un livre.

BRIGITTE AUBRY, RICHARD HAMILTON – PEINTRE DES APPARENCES CONTEMPORAINES, éd. Les Presses du réel, Dijon, coll. « Inflexion », 2009, 640 p., 34 euros, ISBN 978-2-8406-6212-9

THOMAS SCHLESSER, PAUL CHENAVARD – MONUMENTS DE L’ÉCHEC (1807-1895), éd. Les Presses du réel, Dijon, coll. « Œuvres en société », 2009, 304 p., 22 euros, ISBN 978-2-8406-6294-5

COLLECTIF SOUS LA DIR. DE FRANÇOISE DANIEL ET CATHERINE ELKAR, ANDRÉ RAFFRAY, LE PEINTRE DES PEINTURES, coéd. Musée des beaux-arts de Brest et FRAC Bretagne, Brest, 2009, 136 p., 20 euros, ISBN 978-2-9170-5509-0

MICHEL GAUTHIER, FRANK LAMY ET SANDRA PATRON, SIMON STARLING, THEREHERETHENTHERE, coéd. Mac/Val et Parc Saint Léger, 2010, 2 vol. de 144 p., 28 euros, ISBN 978-2-9163-2452-4

ALAIN BERNARDINI, MONUMENT D’IMAGES, éd. Captures, Valence, 2009, 168 p., 28 euros, ISBN 978-2-9533-9121-3

JULIEN BLAINE, ROMAIN RICCIOTTI ET RUDY RICCIOTTI, LE PONT DU DIABLE, éd. Al Dante, Marseille, coll. « Édifice », 2009, 88 p., 20 euros, ISBN 978-2-8476-1901-0

JEAN-PAUL CURNIER ET THIERRY VAN DE WYNGAERT, LE PHARE DES EAUX DE LA TERRE, éd. Al Dante, Marseille, coll. « Édifice », 2009, 80 p., 20 euros, ISBN 978-2-8476-1900-3

FRANÇOIS DESLAUGIERS ET NATHALIE QUINTANE, LE VIADUC LE CORBUSIER, éd. Al Dante, Marseille, coll. « Édifice », 2009, 80 p., 20 euros, ISBN 978-2-8476-1899-0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°320 du 5 mars 2010, avec le titre suivant : Plaisirs polymorphes

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