Chroniques dilettantes n’est pas le premier livre de Philippe Bélaval, mais c’est le premier très personnel. Ce grand défenseur du patrimoine français y évoque les lieux et les œuvres qui l’ont touché au point de l’accompagner toute sa vie et d’éprouver le besoin d’y revenir régulièrement. Voyage le temps d’un entretien.
Lorsqu’Alain de Gourcuff m’a proposé de publier des courts textes sur des œuvres d’art et des lieux patrimoniaux qui me touchent particulièrement, j’ai été un peu étonné, mais ravi. Je me suis lancé dans cette aventure avec un grand plaisir. Je ne tiens pas de journal, mais j’ai toujours avec moi des carnets dans lesquels je note les idées qui me passent par la tête et, quand je voyage, j’écris sur ce que je vois. C’est Jean-Pierre Angremy (président de la Bibliothèque nationale de France de 1997 à 2002) qui m’a suggéré, quand je travaillais à la BNF, de me promener toujours avec un carnet à la poche pour y écrire mes idées. Je l’ai fait et cela a été le point de départ de tout. J’ai un carnet pour l’Italie, un pour l’Espagne et un pour le reste du monde. J’ai repris pour ces chroniques des notes, des sentiments exprimés dans ces carnets, mais je n’ai pas fait de copier-coller.
Celui sur Caravage parce que la question de la rencontre de l’Homme avec son destin est une question qui m’obsède au plus haut point. Comment se construit une destinée, comment s’élabore la trame de la vie, comment on bascule d’une existence parfois complètement anonyme dans quelque chose qui fera de vous quelqu’un de différent ? Je pense souvent, par exemple, au général de Gaulle, qui allait prendre sa retraite au moment où la guerre a éclaté et qui est devenu le héros national que l’on sait. L’idée que l’histoire aurait pu être complètement différente est très présente en moi, de même que l’obsession de la mort est très présente dans mon livre.
Le plus difficile, et que j’ai été à deux doigts de supprimer, est celui sur ma collection de tableaux de paysages nocturnes éclairés par lune. Car je ne sais pas pourquoi je fais cette collection, pourquoi ces tableaux tiennent une telle place dans ma vie au point que les murs de mon appartement en sont couverts. Est-ce en raison du tour de force pictural qu’ils représentent, de la rêverie, de la peur qu’ils peuvent susciter ou de l’au-delà qu’ils évoquent ? Quoi qu’il en soit, c’est le chapitre dont je suis le moins satisfait.
Un jour, en passant dans une salle à Drouot, à une époque où j’y allais beaucoup, j’ai vu un petit tableau, un panneau dont personne ne voulait. J’ai levé la main, je l’ai eu, je l’ai ramené à la maison. Peu de temps après, j’ai trouvé une peinture un peu semblable et cela a continué ainsi. Ce n’est pas la signature ou le pedigree que je recherche, mais ce que me dit le tableau et la manière dont il entrera en dialogue avec les autres. C’est pour cela que je ne m’attribue pas la qualité de collectionneur car le collectionneur est indifférent à l’aspect décoratif d’un tableau, tandis que pour moi, il compte beaucoup. C’est cela justement le dilettante. Il privilégie son plaisir à toute autre considération.
Les rues de Toulouse revues récemment, la lumière d’automne sur la brique, la masse de l’église Saint-Sernin merveilleusement restaurée, la lumière de ses nefs, les quais de la Garonne, l’ambiance très italienne de cette ville, pourtant si proche de l’Espagne.
Tout à fait. Paris, c’est la nécessité ; Toulouse, les origines ; les Landes, l’au-delà avec ses dunes, ses pins…
Oui, car je souffre du manque de considération dont il fait l’objet. On le voit comme une menace alors qu’il a une origine mythologique très forte et qu’il procure une ambiance et une odeur si spécifiques à cette terre de sable. Une terre, certes, où il est difficile de faire pousser des choses, mais où vous marchez toujours d’un pas léger et qui ne laisse pas de boue à vos semelles. Cette idée que la trace de vos pas s’efface très vite me plaît beaucoup.
Dans le monde entier, il y en a des quantités où je ne suis pas encore allé. J’aimerais aller à Naples sur les traces des rois normands. L’art roman y est encore plus magnifique que le baroque. Et puis il y a Caravage, Ribera que j’aime énormément, et Monsù Desiderio (duo des peintres lorrains Didier Barra et François de Nomé) dont on sait peu de choses. Il y a aussi toutes les choses que je ne soupçonne pas. J’aimerais aussi connaître l’Algérie. Je voudrais voir Alger, les constructions de Fernand Pouillon dont je parle dans le livre, marcher sur les pas d’Albert Camus, aller à Tipaza… À plusieurs reprises, dans les différents postes que j’ai occupés, j’ai eu l’opportunité d’aller en Algérie, et je ne m’y suis jamais rendu car, à chaque fois que quelque chose s’organisait, je changeais de poste.
Bien sûr, à commencer par celui que procure de servir la France, mais aussi quelques frustrations dans la mesure où ces fonctions ne sont pas des responsabilités opérationnelles. La dimension de faire, essentielle pour moi, en est trop absente. À défaut de les avoir portés moi-même, j’ai tout de même fait avancer un certain nombre de dossiers et de projets (les travaux du Centre Pompidou, du Louvre, la souscription pour les petites églises…). C’est en même temps une source de jouvence qui m’a énormément apporté en élargissant mon horizon à des perspectives nouvelles.
À la différence de certains de mes prédécesseurs, je n’ai pas conçu mon rôle autrement que comme un facilitateur de la relation des ministres avec le président et inversement, plutôt que comme un déstabilisateur. J’ai travaillé avec deux ministres de la Culture : Rima Abdul Malak et Rachida Dati, très différentes l’une de l’autre, avec lesquelles je me suis très bien entendu. Il est vrai que le ministère de la Culture est une machine très lourde qui a du mal à reconsidérer les paramètres et les critères de son action et de son fonctionnement dans un contexte qui a complètement changé : moins de moyens – du moins une stabilisation par rapport aux besoins qui ne cessent de se faire plus pressants –, des attentes complètement renouvelées de la part du public, la révolution numérique et l’intelligence artificielle… Le modèle d’André Malraux et celui de Jack Lang ne sont plus adaptés ; il faut rebâtir la maison, et ce passage à l’Élysée en a fait plus cruellement ressortir la nécessité.
D’abord parce qu’après mon départ de l’Élysée pour des raisons familiales et personnelles, je n’avais pas de raison de refuser le service que me demandait le président qui m’avait appelé auprès de lui comme conseiller culturel, alors que je ne m’y attendais absolument pas et qui m’a toujours honoré de sa confiance. Ce sujet par ailleurs me tient à cœur, car il est emblématique de certains débats culturels, et spécifiquement patrimoniaux. Cette broderie a certainement été réalisée en Angleterre, à Canterbury, et elle n’y est jamais revenue bien que cette conquête normande de l’Angleterre de 1066 soit vraiment l’événement historique le plus connu dans tout le Royaume-Uni. Les symboles comptent beaucoup pour moi et le symbole de cette entente cordiale renouvelée et renforcée, malgré le Brexit, me paraît très fort. Je souhaite qu’il puisse se réaliser dans le calendrier prévu, sans que l’œuvre ait quoi que ce soit à en souffrir.
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Philippe Bélaval : « Être dilettante, c’est privilégier son plaisir à toute autre considération »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°791 du 1 décembre 2025, avec le titre suivant : Philippe Bélaval : « Être dilettante, c’est privilégier son plaisir à toute autre considération »





