Cinéma

ENTRETIEN

Phil Grabsky : « Un bon documentaire doit raconter une histoire »

Producteur et réalisateur de documentaires

Par Sarah Belmont · Le Journal des Arts

Le 13 avril 2018 - 1054 mots

Après « Moi, Claude Monet », sorti le 23 janvier, Seventh Art Productions présente « Cézanne. Portraits d’une vie », le 10 avril, et « Le jardin d’artiste. L’impressionnisme américain », le 15 mai. Phil Grabsky, la tête pensante de ces projets cinémato-artistiques, évoque son parcours.

Phil Grabsky
Phil Grabsky
Photo David Bickerstaff
© Seventh Art Productions

Phil Grabsky, né en 1964, est un réalisateur britannique reconnu surtout pour ses documentaires aux sujets divers, du Dalaï-Lama (1984) à Mohamed Ali (2001). Féru d’histoire et de musique classique – Mozart (2006), Haydn (2012), Chopin (2014), Beethoven (2015)… –, il se passionne également pour l’art. Il lance en 2012 pour le cinéma « Exhibitions on Screen », série qui plonge le spectateur dans les coulisses de grandes expositions. La quatrième saison de cette production s’achève sur les portraits de Cézanne, exposés récemment par la National Portrait Gallery de Londres, le MoMA de New York, la National Gallery of Art de Washington et le Musée d’Orsay à Paris.
 

Pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?

Je voulais devenir photographe mais un voyage en Inde avec mon frère m’a fait pencher vers le métier de réalisateur. J’ai vendu mon premier documentaire sur le Dalaï-Lama à Channel 4, qui venait de voir le jour. C’était l’âge d’or de la télévision britannique. Les chaînes cherchaient encore à initier les jeunes à la culture et à l’histoire. Il me fallait une structure pour signer des contrats. J’ai alors monté « Seventh Art Productions », en 1985.
 

Comment vous est venue l’idée de lancer « Exhibition on Screen », cette collection de films consacrés à des expositions majeures ?

Tout a commencé en 2009. Je suis allé voir la National Gallery [Londres] qui préparait une rétrospective sur Léonard de Vinci. La direction m’a posé une seule condition : que le film soit retransmis en direct. Une contrainte que je ne suis pas près d’oublier ! Il nous a fallu ouvrir des portes pour relier nos câbles à des camions garés à l’extérieur. Le film est passé dans quarante et une salles. Toutes complètes. Fort de ce succès, je me suis ensuite tourné vers le Metropolitan Opera [salle d’opéra qui a mis en place une politique de projection en direct par satellite dans plusieurs cinémas du monde, NDLR], ce qui m’a permis d’exporter le concept dans trente pays. Au bout de deux saisons, nous avons décidé avec mon associé, David Bickerstaff, de nous autoproduire. Résultat : nos films sont aujourd’hui diffusés dans une soixantaine de pays.
 

… y compris en France, où sortent bientôt « Cézanne. Portraits d’une vie » ainsi que « Le jardin d’artiste. L’impressionnisme américain ».

Nous sommes présents dans cinquante-huit salles en France. Ce n’est cependant pas le pays où nous rencontrons le plus de succès. C’est étonnant, quand on sait les Français cinéphiles et férus d’art. L’Allemagne nous réserve un meilleur accueil. Et en Italie, « Léonard » [Leonardo Live, 2012] est resté longtemps numéro un au box-office.
 

À quel rythme travaillez-vous ?

Nous produisons trois à cinq films par an. Il nous faut six mois à huit mois minimum pour en réaliser un.
 

L’art a du mal à percer l’écran en France. Votre projet a-t-il rencontré quelque résistance à ses débuts ?

Au départ, tout le monde me croyait fou. Qui irait au cinéma pour voir une exposition ? La National Gallery tenait à une prestation « live », parce qu’elle partait du principe que les gens aimeraient avoir l’impression de se mêler à une foule de visiteurs. Plus tard, j’ai pris le contre-pied de cet argument car, à mon avis, le public aspire plutôt à se retrouver seul à seul avec des œuvres. Et c’est ce sentiment d’exclusivité que suscite désormais « Exhibition on Screen ». Nous ne voulons pas détourner les gens des musées, mais leur offrir la possibilité de voir des expositions difficiles d’accès. 99 % de nos spectateurs n’ont pas la possibilité d’aller voir les manifestations que nous filmons, soit parce qu’ils vivent à l’étranger, soit parce qu’ils n’ont pas réussi à se procurer des billets.
 

Tous vos documentaires ne portent pas à proprement parler sur des expositions. C’est le cas de « Moi, Claude Monet ». N’est-ce pas plus simple de collaborer directement avec les musées ?

L’avantage de travailler avec une institution, c’est d’avoir accès à ses coulisses. Pourtant je ne me contente jamais d’entraîner le spectateur dans les réserves d’un musée. Je fais toujours en sorte de lui montrer les lieux où a évolué l’artiste auquel je rends hommage. J’ai procédé de la même manière pour Moi, Claude Monet. Et dans ce cas précis, je tenais à me passer d’interview et de narrateur. Le film repose par conséquent sur la lecture de lettres de ou à Monet. Malgré ce parti pris, c’est, contre toute attente, le documentaire qui a le mieux marché récemment (5 000 entrées). Il n’y a pas de formule, de recette préconçue. Chaque projet est différent. Les expositions sont un prétexte pour relater la vie d’un grand homme. J’aime les biographies, et ne m’en lasse toujours pas.
 

Qu’est-ce qui fait un bon documentaire ?

Mon approche se veut plutôt cinématographique. Un bon documentaire doit raconter une histoire et s’adresser à deux types de public. À celui qui cherche à approfondir sa connaissance d’un sujet s’oppose celui à qui le film projeté donnera envie de siffloter dans la rue en sortant du cinéma. La télévision me sert de contre-exemple, au sens où j’essaie de ne pas céder à la tentation chronologique et de recourir à un peu d’humour, afin de toucher le plus de profils différents. À Séoul nous sommes suivis par un public âgé de 20 à 40 ans, alors qu’aux États-Unis notre public est composé des gens âgés de 50 ans et plus.
 

Avez-vous trouvé un modèle économique ?

Nous sommes une société indépendante autoproduite. Je porte la triple casquette de scénariste, producteur et réalisateur ; ce qui limite les frais. Les DVD constituent une source importante de nos revenus. D’ailleurs nous aimerions, à terme, que notre répertoire de films se retrouve à la télévision, que nos documentaires soient proposés sur Netflix, par exemple. De même, nous n’en sommes pas encore tout à fait au stade où nous pouvons choisir le sujet que nous souhaitons. Nous sommes encore obligés, dans une certaine mesure, de choisir des grands noms, en vue d’attirer un large public. Cézanne représentait un risque mais nous a réservé une bonne surprise au bout du compte, surtout aux Pays-Bas.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°499 du 13 avril 2018, avec le titre suivant : Phil Grabsky, producteur et réalisateur de documentaires : « Un bon documentaire doit raconter une histoire »

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque