Pendu haut et court

La France des architectes vue par Tretiack

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 25 mai 2001 - 778 mots

À la question qui titre
son ouvrage – Faut-il pendre les architectes ? –, Philippe Tretiack ne répond pas. Dommage. Néanmoins, il soulève, au fil des pages, quantité de questions essentielles pour qui veut s’approcher de la réalité architecturale en France aujourd’hui. Au carrefour du reportage, de l’essai, de la chronique et de ce qu’il est convenu d’appeler « l’humeur », cet ouvrage n’est malheureusement ni le pamphlet ni le brûlot que son intitulé nous faisait espérer.

Il y a de l’humour, de l’esprit et même parfois de la méchanceté chez Tretiack. Rien n’est plus amusant que la description qu’il fait des architectes “dans le coup”, ces “corbeaux” tout de noir vêtus. Rien n’est plus instructif que certains mécanismes d’exclusion ou d’absorption révélés. Rien n’est plus juste que certaines analyses portant sur des bâtiments ou encore sur des acteurs de la scène architecturale française et notamment celles de Rem Koolhaas et de François Barré...

Pourtant, d’où vient que, après lecture et relecture de Faut-il pendre les architectes ?, demeure un sentiment d’amertume, de regret, d’occasion gâchée ? Comme si Tretiack, journaliste et auteur certes, mais avant tout architecte, critique d’architecture et figure notoire du milieu, n’allait jamais au bout de sa démonstration. Son livre est à l’image de Radio-Londres, foisonnant de messages codés, elliptiques et mystérieux. En quelque sorte, c’est “les architectes parlent aux architectes”, ce qui est pour le moins surprenant alors qu’il est justement publié par un éditeur mainstream et, supposons-le, destiné à un public autrement plus vaste. À ce public dont, justement, Tretiack se plaint qu’il ne s’intéresse pas à l’architecture...

Certes, il écrit : “Le problème français est souvent celui de la maîtrise d’ouvrage” (p. 91), et plus loin : “Il n’est de grand architecte qu’associé à un grand maître d’ouvrage. Sans bon client, pas de talent” (p. 185, en caractères gras).

Mais à aucun moment il n’insiste sur cette relation essentielle entre client et architecte, pas plus qu’il ne relève ce terrible glissement sémantique qui les a transformés en maître d’ouvrage et maître d’œuvre (expressions que pourtant il “traduit” entre parenthèses...). Alors que tout le problème est bien là. Un maître d’ouvrage est un comité. Et Churchill disait, à fort juste titre : “un chameau, c’est un lévrier dessiné par un comité”. De même pour les concours dont il dénonce les petites magouilles sans jamais dire qu’ils ne sont pour la plupart qu’une dramatique pêche aux idées, sans jamais dire que le fameux programme dont tout le monde se gargarise n’est en fait qu’un énorme cahier des charges, assorti de façon rarissime, de la moindre intention, de la moindre volonté.

Faut-il pendre les vingt-sept mille architectes (Tretiack n’en cite qu’à peine cinquante), les dix-neuf mille étudiants en architecture qui les rejoindront bientôt, et qui au total n’édifient qu’à peine le tiers du domaine bâti en France ? Au nom de quoi ? Et la presque totalité de leurs “maîtres d’ouvrage” ? Sans hésitation !

Par ailleurs, à propos de quelques exemples, et notamment du pitoyable Opéra Bastille, Tretiack déplore l’exercice du “fait du prince”. Mais là encore aurait-il fallu parler d’une conception petite-bourgeoise du monde. Pour que fait du prince il y ait, encore faut-il que prince il y ait...

“Qui sont ces esthètes au goût si discutable ?”, s’interroge-t-il (p. 16). La réponse est simple. Il n’y a pas, en l’occurrence, d’esthètes, ni même de goût, fût-il bon ou mauvais. Et c’est bien là le drame.

Monde en dramatique manque d’ivresse
Client ou architecte, client et architecte, peu importe que l’on soit énarque ou polytechnicien, que l’on soit “post-moderne”, “néo-écolo”, “high-tech” ou encore “déconstructiviste”, la seule chose qui compte, c’est le talent. Un sujet que Tretiack évite soigneusement d’aborder. Sans évacuer les dimensions politique, économique, technique, idéologique, “diplomatique”, du bâtiment, de la construction, l’architecture ne relève-t-elle pas avant tout du symbolique, de l’écriture ? C’est-à-dire, de l’émotion, de la sensation, du désir, du plaisir, de l’inspiration, du style...

En quelques lignes – et en 1921 – dans Eupalinos, Paul Valéry a tout dit de l’architecture : “Dis moi (puisque tu es si sensible aux effets de l’architecture), n’as-tu pas observé, en te promenant dans cette ville, que d’entre les édifices dont elle est peuplée, les uns sont muets ; les autres parlent ; et d’autres enfin, qui sont les plus rares, chantent ?”

Faut-il lire Tretiack ? Assurément, ne serait-ce que pour constater que l’architecture est à l’image du monde qu’elle habite, un monde en dramatique manque d’ivresse1.

1. En référence au merveilleux L’Ivre de Pierres de Jean-Paul Jungmann (et al., Paris, Aérolande, 4 vol., 1977-1983).

- Philippe Tretiack. Faut-il pendre les architectes ? Le Seuil, 2001, 200 p. 110 F. ISBN 2-02-037212-6.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : Pendu haut et court

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