Pascal Bonafoux, Dictionnaire de la peinture par les peintres

Par Suzanne Lemardelé · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2012 - 662 mots

L’historien de l’art Pascal Bonafoux publie un recueil de citations dans lequel les peintres définissent leur art de A à Z.

Albrecht Dürer en était déjà convaincu en 1512 : « L’art de peindre ne peut être bien jugé que par ceux-là seuls qui sont eux-mêmes de bons peintres. » Ce même constat est à l’origine du Dictionnaire de la peinture par les peintres de Pascal Bonafoux. L’historien de l’art et professeur à l’université Paris-VIII a compilé au cours de ses recherches de nombreuses réflexions d’artistes sur leur métier et leur art. Extraits de Mémoires, fragments de lettres, souvenirs d’entretiens…, ces précieuses phrases sont aujourd’hui rassemblées dans un ouvrage que son auteur a conçu sous la forme d’un « dictionnaire ». Cette forme, il avoue l’avoir choisie quelque peu par défaut : difficile en effet d’établir une « histoire de la peinture » à partir de propos aussi variés, d’autant que « l’histoire des regards de peintres, qui fonde l’histoire de la peinture, se contrefiche de la chronologie ».

Du dictionnaire traditionnel, l’historien de l’art a évacué les définitions arides et l’exigence d’objectivité. En témoigne sa conclusion au sujet des « -ismes » : « À en juger par certaines « propositions » plastiques récentes, il se pourrait que le vœu de Duchamp ait été exaucé et que le parasitisme ait été et soit le seul -isme qui vaille encore… » Reste l’ordre alphabétique, selon lequel se succèdent de petits chapitres thématiques où se croisent les pensées des peintres et les commentaires de l’auteur. Restent également le foisonnement et la richesse du contenu. Mais peut-on parler vraiment de dictionnaire quand un livre peut se lire de A à Z – ou, en l’occurrence, « d’Abstraction » à « Watteau » – sans être jamais rébarbatif ?

Nulle hiérarchie
Si son usage ne se borne pas à celui d’un recueil de citations, l’ouvrage est néanmoins une mine d’or pour quiconque cherche à illustrer un argument. Les entrées attendues telles que « Couleur », « Copie » ou « Musée » révèlent les avis contradictoires des artistes, leurs réactions, convenues ou inattendues, parfois violentes. Ainsi, au début du XIXe siècle, Caspar David Friedrich ne décolère-t-il pas de voir « dans une salle ou une chambre, une multitude de tableaux étalés ou engrangés comme une marchandise ». Un demi-siècle plus tard, Renoir martèle quant à lui, et au grand dam de ses amis adeptes de peinture en plein air, que « c’est au musée qu’on apprend à peindre ». Quant à la « Conservation », le thème n’est pas nouveau puisque Vasari, père de l’histoire de l’art, déplorait déjà le piteux état de la Cène de Léonard de Vinci… en 1566.

Parmi les noms communs se promènent également quelques noms propres. Cézanne, Manet, Masaccio, Raphaël…, les peintres ont également disserté sur leurs collègues, que ce soit pour en louer l’influence ou exprimer leur désaccord. On connaît l’admiration de Picasso pour Vélasquez ; on sait moins que Chirico n’appréciait pas Cézanne, ou que Rothko qualifia Mondrian de « peintre obscène ». Le texte consacré au contributeur du mouvement De Stijl recoupe logiquement celui dédié à l’abstraction. C’est là l’intérêt de ce pseudo-dictionnaire : d’un renvoi à l’autre, il invite au vagabondage, à la découverte de nouvelles interrogations. Outre les thèmes et noms incontournables, certaines entrées plus mystérieuses éveillent en effet la curiosité du lecteur : qu’ont pu inspirer aux artistes le « Dire », le « Nom », le « Fini », la « Mer » ou encore le « Tube » ? Nulle hiérarchie entre les propos rapportés ici. Pour Pascal Bonafoux, un avis, s’il est celui d’un artiste, est toujours valable. Il l’affirme : « C’est le regard des peintres qui fournit la seule histoire de la peinture qui vaille. » Les peintres seraient-ils finalement les meilleurs historiens de l’art qui soient ? Peut-être sont-ils, du moins, selon les termes d’André Masson, « ceux qui ont dit le moins de conneries sur la peinture ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Pascal Bonafoux, Dictionnaire de la peinture par les peintres

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