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Ophélie à travers les siècles, de la noyée à l’icône pop

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 14 février 2024 - 327 mots

Parmi les personnages féminins de Shakespeare, Ophélie tient une place à part. Dans le livre qu’elle lui consacre, l’historienne de l’art Valérie Bajou s’appuie sur une importante bibliographie et de nombreuses illustrations pour montrer comment, dans la littérature mais surtout dans l’art, elle est passée d’un rôle secondaire dans Hamlet (publié en 1603) au statut d’icône support de fantasmes et représentative de multiples qualités et défauts prêtés aux femmes.

 


Au XVIIIe siècle, les illustrateurs et les peintres anglais commencent à s’attacher à ce personnage car la folie devient un sujet. Les scènes où elle apparaît entrent dans l’iconographie populaire. On imagine aussi sa noyade, qui n’est pas jouée dans la pièce mais racontée par un autre personnage : La Mort d’Ophélie (vers 1782), une aquarelle préromantique de Mary Hoare, figure la jeune femme presque hagarde, penchée au-dessus de la rivière.

Après 1824, les troupes de théâtre anglaises viennent jouer en France. Les peintres romantiques Eugène Delacroix et Achille Devéria sont à leur tour inspirés par la douleur et la folie que les actrices expriment à merveille. Ils montrent aussi Ophélie glissant dans l’eau, à moitié nue chez Delacroix, se retenant à une branche. Désormais, deux types de représentation du personnage vont coexister en Europe. Certaines privilégient sa mélancolie – en 1842, Gustave Courbet peint magistralement une souffrance tout intériorisée dans Ophélie, la fiancée de la Mort. Cependant, c’est l’image de la noyée, d’une grande pluralité sémantique, qui s’impose largement grâce à La Mort d’Ophélie (1852) du préraphaélite John Everett Millais, présentée à l’Exposition universelle de Paris en 1855. L’héroïne y est « à la fois victime et sirène » et enflamme les imaginations. Rimbaud, les écrivains et peintres symbolistes s’emparent du sujet. En 1895, dans Ophelia noyée de Paul Albert Steck, elle devient, selon les mots de l’autrice, « une plante aquatique » inscrite dans l’Art nouveau. Un siècle après, le photographe Tom Hunter s’inspire encore d’Ophélie la noyée pour The Way Home. Life and Death in Hackney (2000).

 

Ophélie. La noyée embellie, Valérie Bajou,
éd. Cohen & Cohen, Paris, 480 p., 300 ill., 109 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°627 du 16 février 2024, avec le titre suivant : Ophélie à travers les siècles, de la noyée à l’icône pop

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