Livre

Essai

Muses ou sirènes ?

Par Laure Albernhe · L'ŒIL

Le 20 décembre 2023 - 293 mots

En voilà, un beau livre passionnant ! Les femmes musiciennes sont dangereuses démontre pourquoi elles ont été considérées comme telles, en remontant jusqu’aux origines du mot « musique ».

Annie Coste nous rappelle en effet, non sans malice, que les « muses » qui ont donné son nom à cet art sont un produit de la mythologie grecque. « Les fondateurs de notre société patriarcale ont inventé ces créatures pour les opposer aux sirènes, libres et excellentes musiciennes, mais terrifiantes et dangereuses pour les hommes. Les muses, à l’inverse, sont des êtres passifs, de simples subordonnées, entre les dieux et les artistes – invariablement ­masculins – qu’elles sont censées inspirer. » Donc, les femmes musiciennes, en prenant activement la parole, deviennent dangereuses. Regardez ce pauvre Ulysse qui doit se faire attacher pour ne pas céder au doux chant des sirènes… En réalité, si les femmes représentent un danger pour les hommes, c’est en tant que concurrentes. « La musique, en raison de son pouvoir extraordinaire, de son côté prestigieux, a représenté un enjeu très fort de la domination masculine. Et, à partir de l’Antiquité grecque, on a cherché par tous les moyens à empêcher les femmes d’accéder à ce domaine. », argumente l’autrice. Parmi les musiciennes qui ont traversé les siècles, certaines ont multiplié les handicaps, comme les chanteuses de jazz. Femmes et noires dans une Amérique ségrégationniste, elles ont souffert de cette double discrimination. Et, lorsqu’elles parvenaient malgré tout à surmonter les obstacles – comme leur formation ou l’interdiction de se produire sur scène – elles ont été dénigrées, spoliées de leur création, invisibilisées… De quoi dissuader les vocations. Cet ouvrage, habile, argumenté, assorti d’une playlist abondante, et diablement féministe, leur rend justice, ainsi que leurs consœurs de tous genres musicaux et toutes époques. Alors, que vive LA musique !

« Les femmes musiciennes sont dangereuses »,
Annie Coste, Flammarion, 160 p., 29,90 €

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°771 du 1 janvier 2024, avec le titre suivant : Muses ou sirènes ?

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