Monsieur Khnopff

Une exploration des moindres recoins de l’œuvre

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 468 mots

Sous le titre Khnopff ou l’ambigu poétique, Michel Draguet, professeur à l’Université libre de Bruxelles et collaborateur du JdA, publie un essai abondamment illustrés consacré à ce dandy passé maître dans l’art de transmuer sa propre image, et bien plus encore, par de secrètes alchimies picturales, de métamorphoser ses modèles en d’immuables prêtresses d’un culte égoïste entièrement voué à l’idéale beauté.

Dans cet ouvrage, l’auteur réalise non seulement la synthèse des textes antérieurs, rectifiant au passage l’une ou l’autre erreur de date ou d’interprétation, mais surtout, tout en égrenant chronologiquement l’existence bourgeoise et peu mouvementée de l’artiste, il explore les moindres recoins de l’œuvre pour en exhumer des données jusqu’à présent peu exploitées.

Ainsi, par exemple, met-il davantage l’accent, parmi la multitude des thèmes abordés, sur les premiers paysages réalisés dans le village ardennais de Fosset ou à Bruxelles, décryptant les nuances qui différencient la démarche de Khnopff de celle de Whistler ou des impressionnistes français, et relevant combien il accumule sensations et notations qui traduisent la permanence du lieu représenté plutôt qu’ils ne captent la fugacité de l’instant. Insistant également sur la place prépondérante qu’occupe la ville de Bruges dans le microcosme de l’artiste, Michel Draguet évoque non seulement l’attrait pour Memling et les primitifs flamands, mais encore ses paysages “proustiens” qui réveillent les souvenirs d’une enfance perdue et que, mélancoliquement, il tente de reconstituer sur l’écran vide de son papier ou de sa toile.

C’est avec pertinence que Michel Draguet relève les affinités existant entre le Seurat de La Grande Jatte et le Khnopff de Memories, par-delà même la différence de résultat visuels. C’est de plus avec une sensibilité extrême que l’auteur aborde les relations entre l’artiste et les principaux poètes de cette fin de siècle, et en particulier Stéphane Mallarmé. Tous deux, désireux d’entourer leurs créations d’un nécessaire mystère, peignent “non la chose, mais l’effet qu’elle produit”.

Cette plongée dans les abysses d’une œuvre, que hantent d’in­nom­brables reflets féminins, multiples malgré leur répétition, témoigne d’une profonde culture non seulement littéraire, mais encore visuelle ou musicale, qui permet à l’auteur d’approcher d’un œil régénéré le foisonnement des motifs et des attitudes. Ainsi découvre-t-on au hasard des pages l’importance du cadrage et de l’encadrement, les attributs – fleurs, bijoux, bulles –, compléments indispensables aux mises en scène, les parentés et divergences spirituelles avec Maeterlinck, Péladan, Burne-Jones ou Klimt…
 
Si tous les secrets de Monsieur Khnopff ne peuvent nous être révélés, la monographie de Michel Draguet a le grand mérite de nous permettre de le suivre de l’autre côté du miroir afin de mieux appréhender une époque, un personnage, une œuvre réputée difficile, dont le sens profond ne se révèle à nous que parcimonieusement.

Michel Draguet, Khnopff ou l’ambigu poétique, Bruxelles, Crédit communal de Belgique, 460 p., 2 950 FB. Diffusé en France par Flammarion, 495 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : Monsieur Khnopff

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