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Modelage d’un symbole moderne

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 21 janvier 2019 - 357 mots

PARIS

La colombe apparaît dans le texte biblique de la Genèse sous sa forme la plus immaculée. Elle existait sans doute dans bien d’autres mythes oraux antérieurs, dont le texte sacré porte la trace sous la forme d’autres jolis oiseaux blancs, parfois sanctifiés, parfois sacrifiés sur l’autel de nos inquiétudes.

Et comme dans bien d’autres textes où les oiseaux au sens large sont porteurs d’un message, pour ne pas dire d’une parole, d’origine céleste, divinatoire ou divine, elle y est porteuse du souffle d’amour pur qui sauvera les hommes de la tourmente, soit l’esprit saint du dieu lui-même. Car il en faudra de l’amour pour sauver les hommes. Lorsqu’elle prévient, depuis le désert hostile de la mer, de la présence prochaine d’un havre de paix, la colombe, déjà, plus que l’amour qui se conjugue au présent de toujours, se fait le signe d’une hypothèse à venir qui aide à tenir droit la barre quand tout est au désastre. Elle porte l’amour comme un projet, étendard lavé des souillures des affronts et des doutes, tout en opposition, en évolution, d’un état présent. Il n’en fallait pas plus pour qu’en l’état des choses Picasso se l’approprie en 1951, dans les idées progressistes de l’époque, et l’associe, en regard des poèmes d’Éluard, non plus à l’expression d’un amour divin qui descendrait vers les hommes, mais à son expression la plus sociale, toujours renouvelée, qui transcenderait dans sa chair l’humanité entière : la paix. Certes, une colombe n’a jamais arrêté la balle d’un fusil qu’au prix de sa vie, et on ne connaît pas de sentiment plus proche de la haine que l’amour d’un prochain. Mais la paix est en soi une forme de guerre contre l’idée de son contraire. Et c’est juste après l’horreur aboutie du fascisme qu’Éluard et Picasso, ensemble, cueillent ce symbole d’espoir et de progrès dans le jardin du religieux et le placent dans les mains des hommes, gageant pour l’avenir qu’ils sauront être artisans de leur destin. Ils nous laissent aujourd’hui avec le vœu pieux que nous saurons offrir à nos guerres des combats plus jolis à mener pour l’image d’un oiseau et celle d’un visage aimé.

Éluard, Picasso, pour la paix, Michel Murat,
Hazan, 224 p., 29,95 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°720 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Modelage d’un symbole moderne

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