Musique

De l’oreille à L’Œil

Matisse, comme un jazzman en peinture

Par Laure Albernhe · L'ŒIL

Le 27 janvier 2021 - 421 mots

« Je voudrais que chaque partie d’un tableau garde son caractère personnel tout en formant une composition totale.

Chaque rouge reste rouge, chaque bleu reste bleu – tel le jazz, dans lequel chaque exécutant jouant en soliste augmente sa partie de sa fantaisie, de sa sensibilité. » Il est quand même étonnant que l’ouvrage le plus fameux d’Henri Matisse, celui qui l’a fait découvrir à un large public, soit intitulé Jazz, alors qu’il ne comporte aucune référence directe à cette musique. À la lecture de cette phrase du peintre, actuellement à l’honneur au Centre Pompidou, on comprend que c’est moins dans le sujet que dans la manière qu’il faut chercher le lien avec la musique qu’il aimait tant. Henri Matisse avait découvert le jazz grâce à son fils Pierre, galeriste installé à New York. Fervent amateur de cette musique nouvelle qu’il allait écouter dans les clubs de Harlem, Pierre Matisse, qui devait organiser en 1931 une grande rétrospective pour son père au MoMA, lui fournissait des disques de jazz. Aussi, lorsqu’il partit en 1930 en voyage à Tahiti, le peintre fit-il étape à New York, où il rencontra aussi bien des artistes et des intellectuels du mouvement Harlem Renaissance que des musiciens tels Louis Armstrong ou Billie Holiday. Il est revenu en France la tête et le regard autant pleins des couleurs et de la luxuriante végétation polynésiennes que des rythmes syncopés qu’il avait entendus dans les clubs de Harlem.

Publié en 1947 mais initié dès 1943, Jazz a été imaginé par Matisse comme « une sorte d’autobiographie artistique », composée d’images autonomes et d’un texte manuscrit, à l’évidente puissance visuelle, dans lequel il revient sur les grandes étapes de son parcours artistique. « Ne devrait-on pas, écrit-il de ses immenses cursives dessinées au roseau et à l’encre de Chine, faire accomplir un grand voyage en avion aux jeunes gens ayant terminé leurs études ? » Il n’était plus vraiment jeune lorsqu’il a accompli ce voyage, mais il en est rentré de toute évidence fortement impressionné. Jazz, c’est finalement comme un carnet de voyage réalisé a posteriori, après éloignement des voyages. Ce qui persiste d’une aventure exotique : les couleurs, les lumières, les sensations… et la musique aussi. Dix ans avant sa mort, Matisse innove : du fait d’une santé défaillante, il se voit contraint d’abandonner ses outils traditionnels, le pinceau et la peinture, au profit d’une nouvelle technique : la gouache découpée. Il oppose les formes, les couleurs, les structures, il joue avec le rythme. Face à la contrainte, il invente. Il improvise. Comme un jazzman.

À retrouver.
Laure Albernhe et Mathieu Beaudou dans Les Matins Jazz, du lundi au vendredi, de 6 h à 9 h 30 sur TSF JAZZ, la radio 100 % jazz. www.tsfjazz.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°741 du 1 février 2021, avec le titre suivant : Matisse, comme un jazzman en peinture

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