L’œil du Settecento

La naissance de l’école bolonaise selon Olivier Bonfait

Le Journal des Arts

Le 13 avril 2001 - 603 mots

Superficiellement, l’histoire de la peinture à Bologne, après la mort de Guerchin en 1666, serait celle d’une autonomisation du champ artistique. L’étude menée par Olivier Bonfait dessine au contraire une mainmise de plus en plus prononcée de la noblesse sur les arts, et l’unification des manières qui en résulte conduit à un déclin inévitable. Par l’ampleur de la masse documentaire et la variété des approches, son ouvrage ouvre des pistes éminemment fécondes à l’histoire sociale de l’art.

Choisir comme sous-titre la naissance de l’école bolonaise pour traiter les années 1680-1780 peut paraître paradoxal alors que le siècle écoulé avait vu éclore des personnalités aussi fortes que les Carrache, le Guide, Dominiquin, Guerchin ou L’Albane. Pourtant, contrairement à cette période glorieuse où chacun de ces artistes cultivait sa singularité, sa “manière”, la production picturale sous les pinceaux de Francheschini, Creti, Cignani, Gandolfi, Bigari ou Dal Sole, tend à s’homogénéiser. La fondation de l’Académie Clémentine en 1709, qui contribue à cette “unification des manières”, ne constitue pas “une phase marquante de l’émancipation de l’artiste”. De son enquête archivistique, sociologique, historique et esthétique, Olivier Bonfait a tiré une conclusion tout autre.

Le dépouillement d’un grand nombre d’inventaires après décès, avec deux échantillons principaux pour 1690-1699 et 1780-1789, ou encore des contrats de commande des peintres, lui permet d’observer les mutations dans la perception de l’œuvre d’art, le phénomène de la collection, ou la position sociale de l’artiste. Les descriptions et prisées contenues dans ces documents offrent ainsi de précieuses informations sur l’évolution de l’aménagement intérieur : du cabinet le tableau passe au salon, espace de représentation sociale par excellence, l’histoire prend le pas sur les autres genres, et surtout l’école bolonaise devient prépondérante. Si le nombre et le prix des tableaux accrochés dans les demeures croît d’une manière significative, “l’essentiel de cette demande est concentré entre les mains de quelques familles sénatoriales”.

“Cette appropriation de la production picturale et du regard posé sur l’œuvre par la noblesse modifie considérablement les règles du jeu de la création, analyse l’auteur. À l’artiste, qui invente des œuvres célébrées par les lettrés dont le style est voisin, et redistribuées par les marchands amateurs, succède le peintre, qui fournit des tableaux reproduisant les valeurs de l’aristocratie, à travers les mêmes héros et les mêmes gestes.” Est conféré au tableau un pouvoir de représentation symbolique qui implique un contrôle sourcilleux de son disegno et de son iconographie.

De plus en plus dépendants d’un nombre restreint de clients, promus au rang de patrons, les artistes s’obligent par contrat, une servitude que Guido Reni et Guerchin avaient, pour l’essentiel, su éviter : “à partir des années 1660, presque toutes les commandes font référence à un dessin qui sert de ‘contrat visuel légal’”. C’est un indice sérieux du passage d’une ère de marché à une ère de la commande, dans laquelle la notion de “bon goût” apparaît déterminante. Dans cet art de la représentation, la “virtu” du peintre est fondamentale ; symptomatiquement, le chapitre consacré à Marcantonio Francheschini souligne l’importance qu’il accorde d’une part aux récompenses et honneurs reçus des commanditaires, d’autre part à l’image qu’il souhaite laisser de lui.

Tout en constituant un puissant stimulant à l’émergence d’une école, l’inféodation à la noblesse devait en précipiter le déclin.
“Les nobles bolonais s’intéressent plus aux représentations qu’aux créateurs. Une fois leurs grands palais décorés selon les normes de leur goût, le sort de la peinture ne les intéresse plus guère.” Ainsi naît et meurt une école de peinture.

- Olivier Bonfait, Les Tableaux et les pinceaux, la naissance de l’école bolonaise (1680-1780), Collection de l’École française de Rome, 2000, 520 p., 400 F. ISBN 2-7283-0542-0.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : L’œil du Settecento

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