Cinéma

L’héritage perdu de John James Audubon

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 26 avril 2022 - 453 mots

Documentaire -  En remontant Broadway, au nord de l’île de Manhattan, on atteint un curieux coin de Spanish Harlem aux façades couvertes de fresques d’oiseaux exotiques.

Derrière l’église de l’Intercession, une statue rend hommage à John James Audubon (1785-1851), un naturaliste extraordinaire qui a sillonné la nation au début du XIXe siècle en peignant les volatiles qu’il croisait en chemin. La plupart ont disparu. Il n’en reste que des œuvres d’art. Le documentaire de Jacques Lœuille, Birds of America, revient sur les traces d’Audubon, des rives du Mississippi à celles de la Harlem River. En 1810, John James s’appelle encore Jean-Jacques. Français, né à Haïti, il ignore qu’il entreprend une œuvre fondamentale pour l’ornithologie, mais aussi pour l’histoire de l’art. Le film déploie sur grand écran des peintures extraordinairement expressives, de becs et de plumages perdus. Audubon paraît explorer un monde quasiment préhistorique et en prendre conscience au fil de sa route : « Toute forme de voyage est bonne, écrira-t-il à la Nouvelle-Orléans, pourvu qu’elle nous conduise le plus loin possible. Aux extrémismes du réel. » Jacques Lœuille joue du contraste entre les gravures splendides d’une nature oubliée et les paysages industriels qu’il traverse aujourd’hui. Si le film abuse de sa voix off, il déroule, au-delà de la biographie de John James Audubon, une passionnante histoire des États-Unis et de ses premiers artistes. Le réalisateur convoque un autre peintre, George Catlin, qui, lui, s’attache à portraiturer des Indiens, bientôt décimés. Contemporains, Catlin et Audubon fixaient au pinceau les dernières braises d’un éden éphémère, « Nouveau Monde » condamné par les colons européens. Face à cette tragédie, James Fenimore Cooper écrit en 1826 son plus grand succès, Le Dernier des Mohicans, et grave cette phrase mythique dans la littérature américaine : « Au matin de ma vie, j’ai vu les fils d’Unamis fiers et heureux. Et ce soir, je vois mourir le dernier des Mohicans. » Le cinéma n’arrive qu’après. Indirectement, Jacques Lœuille décrit aussi l’invention de la mélancolie, qui hantera les grands films de Hollywood. Il reviendra au cinéma de recréer ce monde d’avant le western, cette nature et ces peuples que les parents et grands-parents des premiers metteurs en scène ont entrepris de ravager. Oiseaux et Indiens renaîtront dans des décors des studios, comme sur les murs de Spanish Harlem… pour mieux s’éteindre dans les teintes de crépuscules si chères aux films de Terrence Malick. Reste aussi ce doute : cet hier à jamais effacé n’était-il pas déjà un peu rêvé par les derniers témoins qui l’ont traversé ? Audubon, Cooper ou Catlin n’ont-ils pas parfois franchi « les extrémismes du réel » ? « Faire des films, résumera des années plus tard l’auteur de La Porte du paradis, Michael Cimino, c’est inventer la nostalgie d’un monde qui n’a jamais existé ».

À savoir
Formé à l’École des beaux-arts et au Fresnoy, Jacques Lœuille a tourné plusieurs documentaires sur l’art autour de Rubens, Kupka, Modigliani… et divers « essais » et fictions de format court. « Birds of America » est son premier film distribué en salles.
À voir
« Birds of America »,
de Jacques Lœuille, 1 h 23, au cinéma le 25 mai 2022.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°754 du 1 mai 2022, avec le titre suivant : L’héritage perdu de John James Audubon

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