Photographie

Les vérités des corps

Le Journal des Arts

Le 9 janvier 2004 - 645 mots

La photographie-vérité, par les nudités du visage ou du corps.

Que la photographie ait marqué, dès son apparition, l’art du portrait, on ne peut en douter. C’est même par ce biais que la pratique photographique s’est fait connaître de tous les publics, depuis le daguerréotype et la carte de visite jusqu’au Photomaton en passant par les portraits de studio. La photographie fait ainsi les honneurs de la « représentation » –  auparavant réservée aux personnages fortunés –, à qui se présente devant un appareil, une chambre noire, avec une somme relativement modique. « Démocratisation », mais aussi standardisation de l’image de soi. Pour autant, le portrait photographique n’ayant plus guère de limites fixées par des codes picturaux (en buste, de face, en pied, etc.), faut-il encore l’appeler « portrait » et y chercher la possibilité d’une unité discursive ? C’est ce que tente la Bibliothèque nationale de France (BnF), soucieuse de montrer, en une exposition temporaire, qu’elle a accumulé une grande quantité de photographies de toutes époques, et notamment du portrait. Si le pari est difficile à tenir dans les alignements et l’hétérogénéité manifeste d’une exposition, il est plus lisible et convaincant dans un catalogue, particulièrement dans le format choisi pour l’occasion, et avec le mode de confrontation et de dialogue des images. Car se pencher sur le portrait, c’est en quelque sorte relater d’une expérience qui implique le regardeur avant tout, sa fonction interrogatrice de regard d’une surface, les yeux dans les yeux. C’est aussi mettre en cause celui qui photographie, simple opérateur, amateur ou photographe professionnel. Faire du portrait, donner son propre portrait à autrui (ou accepter de le diffuser), regarder le portrait des autres, sont des activités autonomes relatives au même objet, où s’entrecroisent de multiples significations, présupposés, interprétations et intentions. Et c’est sans doute le principal mérite d’un tel ouvrage, faire comprendre ces imbrications de vérités individuelles, au-delà de la chronologie historique et de la question des styles individuels.
La quête d’une certaine vérité des comportements sexuels animait certainement le zoologiste américain Alfred Kinsey, fondateur en 1947 du Kinsey Institute for Research in Sex, Gender and Reproduction (Indiana University) et auteur du fameux Rapport Kinsey qui accompagna la « libération sexuelle » de la seconde moitié du XXe siècle. Le chercheur aboutissait notamment à la conclusion que 95 % de la population américaine ne respectait pas, en matière d’usages sexuels, la législation en vigueur… Collectionneur invétéré (d’iris, puis de guêpes charpentières), c’est en entomologiste que Kinsey aborda les comportements sexuels de ses contemporains ; sa méthode, très décriée, se révélera vite caduque. Adepte de l’entretien oral individuel, des classifications et de la statistique (18 000 personnes interrogées), Kinsey amassa aussi, plus qu’il ne collectionna, toutes sortes de documents (films, vidéos, magazines) parmi lesquels des photographies à caractère sexuel, de professionnels ou d’amateurs. Celles-ci dénotent des particularismes comportementaux (photos confisquées par la police, photos de culturistes, de pin-up) lui permettant encore de classer. S’il dévoile essentiellement des attitudes et gestes érotiques, postures d’accouplement ou détails anatomiques, le recueil sélectif publié sous le titre Les Vérités du sexe montre surtout la pauvreté du classement parascientifique normatif (« Coïtus, Female side position, dorsal-ventral » ; « Genitalia, male, Negro ») et le décalage avec le contenu réel des images. Comme pour le portrait – si l’on peut dire –, la seule vérité qui ressort de l’exercice visuel se situe entre le regardeur et les images ; ce qui, après tout, regarde chacun, mais n’est peut-être pas totalement négligeable.

- Sylvie Aubenas, Anne Biroleau (sous la dir.), Portraits-visages, 1853-2003, Gallimard/BnF, coll. « Galerie de photographie »,192 p., 150 ill., ISBN 2-07-011772-3, 40 euros. Exposition à la BnF, jusqu’au 11 janvier, 58 rue de Richelieu, 75002 Paris, tél. 01 53 79 59 59. - Les Vérités du sexe, Archives du Kinsey Institute, dir. par Pierre Borhan, éd. Marval, 2003, 240 p., 220 photos, ISBN 2-86234-359-5, 45 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : Les vérités des corps

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