Livre

HISTOIRE DE L’ART

Les réalismes de l’entre-deux-guerres

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2021 - 822 mots

Dans une étude nourrie de références culturelles, Serge Fauchereau explique la fin des avant-gardes historiques et le retour à une figuration réaliste par la crise boursière de 1929 et ses conséquences sur le plan mondial.

Pour l’histoire de l’art, les années de l’entre-deux-guerres sont, sans être maudites, une période déconsidérée. Celle-ci ne donne lieu ni à une remise en question de l’ordre plastique, ni à un geste iconoclaste, ni à l’invention de quelque fait artistique inédit. Les artistes de cette génération sont dans une position peu confortable, car, situés loin derrière les pères fondateurs de l’art abstrait, ils sont suivis par les nouveaux géants de l’avant-garde, les expressionnistes abstraits américains. Ainsi, ils ont droit tout au plus à un strapontin dans les annales officielles de l’histoire. Le grand mérite de Serge Fauchereau, armé d’un savoir encyclopédique, est de faire découvrir au lecteur l’originalité d’autres tendances artistiques, souvent étroitement liées aux changements politiques de l’époque. Si la peinture murale mexicaine ou le régionalisme américain ont déjà été traités par ailleurs, plus surprenantes sont les études du surréalisme dans sa version yougoslave ou hongroise, de l’engagement en Grande-Bretagne ou encore du rapport entre la tradition et l’avant-garde hispaniques.

L’autre mérite de cette réflexion est de ne pas s’arrêter aux arts plastiques mais de se nourrir également de connaissances littéraires, cinématographiques, musicales ou issues des arts du spectacle. Bref, il s’agit véritablement de ce que l’on dénomme « cultural studies ». On regrette toutefois que la richesse de ce livre pêche parfois par un trop-plein informatif qui noie le lecteur dans une quantité infinie de détails.

La thèse principale de Serge Fauchereau consiste à présenter le krach de 1929 et la crise sociale mondiale qui en a découlé comme une phase où l’« on n’est plus concerné par une quête de nouveau chère à l’avant-gardisme ni par un retour à l’ordre plus ou moins superficiel mais par un retour à la réalité ». Autrement dit, l’irruption d’une réalité menaçante se solde à l’époque dans le champ artistique par une ruée sur le « réel ». Presque sans exception, les créateurs prétendent à une meilleure approche plastique de la « réalité ».

Le réel sans fard

Même si l’auteur évite de parler de retour à l’ordre, il situe dans l’après-guerre l’essoufflement des avant-gardes. Le cubisme devient lisible avec Jean Metzinger, Auguste Herbin ou Léopold Survage ; le futurisme, qui a perdu Umberto Boccioni et Antonio Sant’Elia, se réduit à la figuration primitiviste de Carlo Carrà, ce dernier faisant partie du comité de rédaction de la revue Valori Plastici qui défend un retour au métier conventionnel. En somme, « cubistes, futuristes, vorticistes, ultraïstes […] vont évoluer vers une figuration plus ou moins réaliste, sans rupture brutale ».

C’est sans doute en Allemagne que ce changement est le plus visible. Certes, il ne faut pas oublier le Bauhaus, cet îlot moderniste au milieu de la République de Weimar. Mais, par ailleurs, l’expressionnisme, lourdement critiqué, est agonisant et la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit) apparaît sur la scène allemande. Consacrée par une exposition très médiatisée qui s’est tenue à la Kunsthalle de Mannheim en 1925, qualifiée de post-expressionniste tout en étant proche du néoclassicisme, elle se caractérise par une volonté de représenter le réel sans fard. Jugement ou constat, la Nouvelle Objectivité tend à la société malsaine et corrompue de l’après-guerre un miroir glacé. Si elle n’échappe pas aux accents académiques, ce n’est pas le cas du Réalisme magique, figuration d’une poésie mystérieuse, et encore moins du Groupe des artistes progressistes, d’obédience marxiste. Ainsi, aux portraits d’une inquiétante précision de Christian Schad, répond, chez Franz W. Seiwert, un « machinisme » de figures géométrisées de travailleurs, qui accorde une place décisive aux préoccupations sociales et à la lutte contre le fascisme.

Les réactions régionalistes

Puis, l’auteur s’attelle à l’analyse des réactions régionalistes – définies comme une production artistique réalisée dans un cadre géographique et humain limité – contre l’avant-garde cosmopolite. Ayant traité la Grande-Bretagne, le pays de Galles, l’Écosse, l’Irlande, Serge Fauchereau s’attarde sur la scène américaine. Refusant le présent oppressant, des artistes tels Grant Wood ou Thomas Hart Benton (accessoirement professeur de Pollock) cherchent alors à travers leurs travaux à se replier sur le passé agraire de l’Amérique et à exalter l’authenticité d’un prétendu âge d’or rural. D’autres, John Steuart Curry ou Ben Shahn, consacrent leur peinture aux ouvriers engagés dans la lutte des classes.

Enfin, c’est au tour du surréalisme, qui inventait des objets « recyclés », un « surréel » où dominait une approche onirique de la réalité. Son importance à travers l’Europe justifie la place de choix que lui accorde Fauchereau. Non content d’analyser son évolution en France, en Belgique ou encore en Espagne, il montre l’ampleur de ce phénomène en Europe de l’Est. En somme, dans cette avalanche de formes qui tentent alors de dialoguer avec la réalité, on distingue difficilement entre réel donné, caché ou construit. Mais pouvait-il en être autrement quand les liens avec le réel étaient discrédités, quand les certitudes s’effaçaient, quand, enfin, la « réalité » se décomposait ?

Serge Fauchereau, La fin des avant-gardes de l’entre-deux-guerres,
éd. Hermann, 658 pages, 45 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°577 du 12 novembre 2021, avec le titre suivant : Les réalismes de l’entre-deux-guerres

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