Livre

Entre-nerfs

Les Livres de Vincent

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 27 octobre 2020 - 793 mots

Publié chez Actes Sud, un ouvrage élégant analyse les liens étroits et féconds que Vincent Van Gogh (1853-1890) entretint avec la littérature. Une étude documentée et richement illustrée, mais sans relief. Dommage.

De lui, on ne peut dire que le prénom – Vincent. De lui, comme de Léonard de Vinci, de Michel-Ange Buonarroti et de Camille Claudel, on peut ne pas mentionner le nom : Vincent Van Gogh est un génie et un intime, un être dont on sait les œuvres et les heures, les faits et les gestes. Récemment encore, les conditions de sa mort et l’emploi du temps de sa dernière journée faisaient l’objet d’une enquête passionnante, avec pour pièce à conviction une modeste carte postale. La correspondance avec Théo, l’amitié avec Gauguin, l’oreille coupée, la balle dans la poitrine : Vincent est devenu aussi important que Van Gogh, l’homme a rejoint l’artiste, l’individu singulier l’être universel. Le présent ouvrage, consacré aux « livres de Vincent », envisage de croiser le peintre et le lecteur, celui-ci étant susceptible d’éclairer celui-là. Une belle promesse, donc.

Élégance

De format moyen (15,2 x 22,9 cm), cette publication élégamment reliée se distingue par son épaisse couverture dont la blancheur et le grain évoquent les toiles des peintres, manière de rendre physiquement solidaires la littérature et la peinture, les mots et les formes. Subtil. La première de couverture accueille la Branche d’amandier en fleur dans un verre (1888), une toile japonisante qui, composée à Arles, représente un livre rose, doux comme une peau. Cette savante mise en abyme est redoublée en quatrième, où figure la Nature morte avec statuette en plâtre et livres (1887), un tableau où sont nonchalamment superposés Bel-Ami de Guy de Maupassant et Germinie Lacerteux des frères Goncourt. Or, cette fois, le peintre a décidé de reproduire les titres des deux volumes, publiés quelques années auparavant, et d’ainsi souligner leur valeur manifeste, le premier étant le roman de l’ascension sociale et des compromissions amoureuses, tandis que le second est le récit naturaliste d’une descente aux enfers, celle d’une femme de peu, méprisée par l’ignominie des hommes et l’injustice du monde. Grandeur et misère, ambition et débauche, ors et boue, capitalisme et misérabilisme : l’élection de ces deux romans éminemment politiques ne saurait être anodine chez le peintre des Mangeurs de pommes de terre et chez un homme dont les assiduités envers les femmes semblent sempiternellement contrariées. L’auteure n’en dira rien, ou presque.

Énumération

L’introduction consiste en une explicitation précise de la méthode et une longue note d’intention scabreuse du projet. Scabreuse, car peuplée de truismes (« ses habitudes de lecture reflètent l’évolution de ses goûts, en étroite connexion avec ses changements de vie ») et, plus encore, de formulations maladroites, peut-être liées à la traduction du texte, primitivement publié chez Thames & Hudson (« Avec une âme de réaliste, Vincent conçoit le monde à travers des mots et des images, comme à travers des plans fixes de la réalité vécue »). De l’aveu de l’auteur, les sept chapitres succédant à l’introduction « explorent la passion de la lecture chez Van Gogh sous différentes formes – visuelle, conceptuelle, humaine – suivant un parcours chronologique ». Ces séquences, qui tentent d’approcher le prédicateur spirituel, le scrutateur social, le poète réaliste ou le génie polymorphe, se contentent, à force de citations extraites de la correspondance avec Théo, de convoquer des références littéraires sans jamais que soit percée leur puissance signifiante. Certes, Van Gogh connaît le Livre, mais quelle est l’influence, sur sa peinture, du langage biblique, avec sa cruauté et sa grâce, avec ses ellipses voluptueuses et ses exemples implacables ? Certes, Charles Dickens est son « écrivain britannique préféré », mais qu’est-ce donc, symboliquement et socialement, que de pouvoir lire en anglais, comme en français et en néerlandais ? Si l’œil de Van Gogh peut démêler l’écheveau du visible, sa langue peut-elle donc percer la Babel des hommes ? Ce n’est pas rien. Voir et lire procèdent-ils de la même avidité, celle qui permet de pénétrer les arcanes du réel ?

Absorption

Joliment illustrée, cette étude atteste ce que nous savions de Van Gogh : sa passion zolienne, sa dilection pour Daudet et son intérêt pour Maupassant. On eût aimé qu’elle nous éclairât, ainsi que le fit Pascal Dethurens dans son récent Éloge du livre (Hazan, 2018), sur la symbolique littéraire et sur l’ésotérisme du livre. Pourquoi donc tous les femmes et les hommes peints par le Hollandais sont-ils comme soustraits à ce qui les entoure, perdus dans d’inaccessibles rêveries, volontiers mélancoliques ? Pourquoi sont-ils ainsi absorbés, ainsi que l’on dit de ceux qui sont saisis par leur lecture ? Et le livre, cette métaphore du monde et cette métonymie du mystère, n’est-il pas, chez Van Gogh, l’instrument souverain de l’absorption, celle qui tout à la fois plonge en soi et exile vers l’ailleurs ?

Mariella Guzzoni,
 
Les Livres de Vincent. Les écrivains qui ont inspiré Van Gogh,
Actes Sud, 234 p., 132 ill., 29 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°738 du 1 novembre 2020, avec le titre suivant : Les Livres de Vincent

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