Les livres d’art pour enfants : un domaine en pleine expansion

Une approche ludique et interactive : le livre se bat avec les mêmes armes que ses concurrents menaçants, les jeux électroniques

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1995 - 944 mots

Le marché du livre d’art pour enfants connaît actuellement un développement sans précédent. Les maisons d’édition multiplient et diversifient leurs collections, tout en tenant compte des lois du marché. En marge d’ouvrages véritablement pédagogiques, se dessinent des initiatives moins convaincantes.

PARIS -  Plus de vingt-cinq collections de livres d’art pour enfants sont aujourd´hui proposées au public, offrant au total plus de 150 titres, contre 38 il y a tout juste trois ans. Certains, comme Le jardin de Monet (Casterman) ont été tirés à plus de 80 000 exemplaires. Les enfants disposent même de leur propre petite encyclopédie de l’art, sortie le 20 mars en librairie (co-édition de la Réunion des musées nationaux et des éditions du Regard).

Les raisons de ce succès ? Sans aucun doute la demande croissante du public, mais surtout la variété et l’inventivité des ouvrages proposés. Dès trois ans, les enfants trouvent de quoi se mettre sous les yeux ; cependant la majorité des ouvrages concernent les plus de six ans. Les maisons d’édition ne se contentent plus de plagier, en les simplifiant, les livres pour adultes. Certaines portent leur effort pédagogique sur un contact direct, émotionnel, du jeune lecteur avec l’œuvre. Le livre joue avec son regard : albums, imagiers, ouvrages thématiques... Les auteurs sont, dans ce cas, eux-mêmes des artistes ou des éducateurs.

D’autres privilégient les connaissances historiques et théoriques : biographies, descriptions linéaires des œuvres marquantes des artistes... ; leurs collections sont alors, le plus souvent, conçues par des conservateurs, des conférenciers et des historiens de l’art.

Des conceptions très variées
Voir ou savoir ? Sans que la distinction soit toujours aussi claire, il est possible de rattacher la plupart des collections existantes à l’une ou l’autre de ces démarches. Certains ouvrages, qui font découvrir l’art par le jeu, se rangeraient plus volontiers dans la première catégorie. Dans "Salut l’artiste !" ou "Mes premières découvertes", l’enfant est invité à s’amuser avec les peintures : jeu de l’oie, des sept erreurs, manipulation de films transparents.

Dans les exemplaires de "L’Art en jeu", le lecteur découvre, progressivement, par le truchement d’une maquette inventive, toutes les facettes d’une œuvre du XXe siècle ; cadrages, gros plans, pliages sollicitent la curiosité de l’enfant qui, de lecteur devient acteur. À l’honneur donc, une approche ludique et interactive : le livre se bat avec les mêmes armes que ses concurrents menaçants, Nintendo et autres jeux électroniques.

Certains éditeurs ont préféré privilégier les connaissances théoriques, tout en faisant vibrer une autre corde sensible de l’univers enfantin : le conte. Dans la collection "Un dimanche avec...", l’artiste raconte lui-même son histoire en s’adressant directement à l’enfant. Pour se rapprocher du jeune lecteur, Casterman, dans sa collection "Le jardin des peintres", met en scène un héros auquel l’enfant s’identifie : il est le jeune Raphaël qui découvre les peintres de la Renaissance.

La série "Art/Aventures" met l’accent sur les péripéties d’un artiste, comme, par exemple le voyage de Delacroix au Maroc. Plus contemporaines, les éditions du Chêne, dans leur série "Art Jeunesse", relatent la genèse d’une œuvre spécialement conçue pour chaque ouvrage par César, Robert Combas et Bernar Venet. Quelque peu alambiquée, "La Petite collection" co-éditée par la Réunion des musées nationaux et Calmann-Lévy associe artificiellement un conte à douze tableaux de maîtres. Le romancier Daniel Pennac a imaginé, pour le dernier-né, un texte qu’"illustrent" – comme l’annonce maladroitement le sous-titre – des œuvres de Miró.

Un certain nombre de collections cherchent, plus précisement, à éduquer l’œil de l’enfant. Car, comme le souligne Hubert Comte, auteur notamment du best-seller des maternelles, "À la découverte de l’art", "bien souvent le regard de l’enfant glisse sur un tableau sans s’y attarder.

Tout l’enjeu est de le faire rester plus d’une minute devant une œuvre." Certains ouvrages cherchent à donner au jeune lecteur des outils – comme l’analyse des techniques ou la comparaison entre différents artistes – qui lui permettront de démonter une peinture ou une sculpture et d’en saisir ainsi toutes les subtilités. Là encore, un large choix s’offre aux parents quelque peu perdus : imagiers comme celui du "Petit Musée", albums à thème avec les Livres du Dragon d’or ou d’Albin Michel, mini-guides de musées, abécédaires...

Des produits de qualité inégale
Le marché des petits obéit aux mêmes règles que le marché des grands. Il y a les incontournables : les impressionnistes, Picasso, Van Gogh, Matisse, Léonard de Vinci. Et ceux qui sont toujours contournés : peintres des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, art oriental et primitif, sculpteurs et architectes. "Pourtant, comme le souligne Sophie Curtil, créatrice de la collection "L’Art en jeu" éditée par le Centre Pom­pidou, la sculpture suscite, chez les enfants, un intérêt beaucoup plus vif que la peinture. C’est pour eux plus concret, plus palpable".

Beaucoup de ces collections familiarisent l’enfant avec l’univers artistique, aiguisent son regard. À l’inverse, certaines collections font preuve de confusion, comme la collection "Passion des Arts" chez Gallimard. À force de vouloir tout accumuler, reproductions, dessins, photographies, leurs ouvrages font plus figure de coffres à jouets mal rangés que d’outils pédagogiques.

D’autres semblent oublier qu’elles s’adressent à de jeunes lecteurs : texte abscons, souvent bavards et même parfois franchement stupides comme ces quelques lignes tirées d’un ouvrage sur Warhol dans la collection "L’Art en jeu" : "Léonard et Andy aimaient beaucoup leur maman. Ils trouvaient qu’elles étaient les plus belles du monde... Ils ont peint Mona Lisa et Liz en pensant à elles" ! Et pourtant, comme le rappelle Alain Madeleine-Perdrillat, chargé de la Communication de la Réunion des musées nationaux et auteur notamment d’Un dimanche au Louvre chez Skira, "le pouvoir des mots est fondamental. Trouvez le bon mot, le mot juste, et tout de suite l’enfant voit mieux".

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Les livres d’art pour enfants : un domaine en pleine expansion

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