Peinture Italienne

L'édition française célèbre Giorgione et Caravage

D'un siècle à l'autre

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 8 décembre 2009 - 983 mots

L’année 2010 marquera, respectivement, le 500e et le 400e anniversaire de la disparition de Giorgione et Caravage - L’édition française s’est mise à la page

À l’occasion du 400e anniversaire de la mort de Caravage, trois nouveaux ouvrages, parus simultanément, rendent un énième hommage au maître du clair-obscur. Si tout semble avoir été écrit sur l’artiste, chaque monographie propose une approche singulière au plus près de son œuvre pictural et loin des fantasmes longtemps véhiculés sur un génie dépravé et maudit. Pour les éditions de l’Imprimerie nationale, Rodolpho Papa, spécialiste de la Renaissance et professeur à l’Université pontificale de Rome, s’appuie sur une analyse purement visuelle de ses réalisations pour retracer le parcours artistique et la vie du peintre, de Milan à Rome. Selon l’auteur, il s’agit moins de « montrer la grandeur de son art, déjà reconnue », mais plutôt d’« entrer dans sa peinture », « la faire voir pour ce qu’elle est réellement, au-delà des écrans qu’interposent, entre l’œuvre et le spectateur, sa grande notoriété ». Rodolpho Papa souligne l’importance des références aux textes des Pères de l’Église, de la vulgate et de La Légende dorée de Voragine que Caravage, imprégné du concile de Trente, cherche à transcrire littéralement. Abondante, l’iconographie de cet ouvrage atteint ses limites avec des reproductions de faible qualité lorsqu’il s’agit de gros plans, comme c’est le cas pour les éléments détaillés du Martyre de saint Matthieu.
La photogravure reste néanmoins bien plus convaincante que celle des éditions Hazan où les œuvres du Caravage sont toutes voilées – ce qui expliquerait le coût relativement modeste de l’ouvrage. L’auteur de cette nouvelle monographie, Sybille Ebert-Schifferer, spécialiste de la peinture italienne du XVIIe et directrice de la Bibliotheca Hertziana à Rome, affiche, elle aussi, l’ambition de replacer l’œuvre de Caravage dans son contexte historique et de le libérer définitivement de quelques clichés tenaces. Après avoir fait la synthèse des innombrables recherches déjà opérées sur le sujet, elle dresse le portrait d’un artiste pieux et cultivé, dans l’esprit de la Contre-Réforme, qui sut s’entourer d’un cercle de commanditaires avisés.

Le Caravage sous un œil neuf
Bien que les deux maisons aient choisi la même œuvre pour illustrer leur couverture, Judith et Holopherne (1599), l’ouvrage édité par Taschen est radicalement différent de celui des éditions Hazan. L’auteur, l’historien de l’art Sebastian Schütze, titulaire de la chaire d’histoire de l’art moderne à l’Université de Vienne, tente lui aussi de révéler l’œuvre de Caravage sous un œil neuf, c’est-à-dire à la lumière des recherches récentes, mais cette fois en dépassant les deux courants qui s’opposent traditionnellement. Le premier, développé par Maurizio Calvesi, verrait dans Caravage un représentant de la Contre-Réforme – idée à laquelle les deux ouvrages précédemment décrits semblent avoir adhéré – et le second, autour de Ferdinando Bologna, le considère plutôt comme un libre penseur, voire un païen. Sebastian Schütze adopte une position médiane en dressant le portrait d’un artiste certes influencé par la Contre-Réforme et l’ensemble des débats des grands théoriciens de l’art de la Renaissance, mais ce, de manière plus intuitive que réfléchie. Le découpage reprend une trame chronologique : les débuts en Lombardie (1571-1592), l’affirmation de son style (1592-1599), les grandes œuvres religieuses à Rome (1599-1606) et l’œuvre ultime en Italie du Sud à Naples, Malte et en Sicile (1606-1610). Sebastian Schütze évoque les nombreuses copies, variantes et interprétations des œuvres du maître, réalisées de son vivant ou dans les premières décennies du XVIIe siècle. Ces tableaux, qui se comptent par centaines, « établissent un dialogue critique avec les tableaux de Caravage et documentent de manière détaillée la réception de son œuvre et la manière dont il a été perçu ». En annexe, le catalogue raisonné est divisé en deux parties : les œuvres qui ne font aucun doute, puis celles « attribuées à », essentiellement des copies selon l’auteur, voire quelques tableaux encore sujets à caution en raison, le plus souvent, d’un trop mauvais état de conservation. Il faut saluer la qualité de l’iconographie de cet ouvrage, tellement précise qu’aucun craquèlement de peinture n’y échappe. Des œuvres comme La Vocation de saint Matthieu (1599-1560) ou Les Sept Actes de la miséricorde (1606-1607) sont reproduites sur trois volets, permettant de prendre toute la mesure du peintre.

Insaisissable Giorgione
L’année 2010 marque également l’anniversaire de la disparition d’un autre génie italien, vénitien cette fois. Giorgione est décédé il y a 500 ans. Ici encore, difficile d’apporter de nouveaux éléments sur la vie et la carrière de cet artiste énigmatique. Dès l’introduction de son ouvrage, Enrico Maria Dal Pozzolo, reconnaît que « sur Giorgione, tout a été écrit, et même d’avantage » et précise qu’il s’est attaché à faire un « livre de vulgarisation ». Après avoir rappelé les quelques éléments avérés sur la vie de Giorgione et évoqué la Venise de la fin du quattrocento, l’auteur s’attache à décrire les œuvres pour en fournir l’explication dans un deuxième temps. Il apporte de nombreuses indications quant à leur état de conservation et aux repentirs ou dessins sous-jacents que les analyses récentes ont pu révéler. Le mystère des œuvres de Giorgione demeurant entier, Enrico Maria Dal Pozzolo a préféré renoncer à toute approche philosophique ou à quelque interprétation trop éloignée des images. D’une grande qualité, les reproductions ont su saisir avec précision, et sans les trahir, le Portrait d’un homme en armure avec son écuyer, le beau visage de Judith, ou Les Trois Âges de l’homme. Et, bien sûr, La Tempête, tableau emblématique de cet artiste résolument insaisissable.

- Rodolpho Papa, Caravage, éd. de l’Imprimerie nationale, 2009, 336 p., 144 euros (120 euros jusqu’au 31 janvier 2010), ISBN 978-2-7427-8475-2
- Sybille Ebert-Schifferer, Caravage, éd. Hazan, Paris, 2009, 320 p., 59 euros, ISBN 978-2-7541-0399-2
- Sebastian Schütze, Caravage – L’œuvre complet, éd. Taschen, 2009, 306 p., 100 euros, ISBN 978-3-8365-0182-8
- Enrico Maria Dal Pozzolo, Giorgione, éd. Actes Sud, Arles, 2009, 384 p., 140 euros (120 euros jusqu’au 31 janvier 2010), ISBN 978-2-7427-8448-6

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°315 du 11 décembre 2009, avec le titre suivant : L'édition française célèbre Giorgione et Caravage

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque