Parti pris

L’édition de livres d’art en danger

Le Journal des Arts

Le 7 mars 2003 - 737 mots

La publication récente à Londres d’un ouvrage détaillé sur les domaines d’application du droit d’auteur (Dear Images : art, copyright and culture) relance la question du bien-fondé de la politique du copyright. Tandis que les artistes vont bientôt se voir contraints de suivre une formation de juriste, les avocats et les détenteurs de droits se frottent les mains. Le marchand et historien d’art britannique Christopher Wood réagit à la dérive mercantile du droit de reproduction.

À l’âge de l’Internet, le copyright est devenu un monstre. Il étouffe la liberté artistique et rend la vie difficile aux historiens de l’art. Il représente la menace constante d’actions en justice et de demandes d’argent. Artistes, écrivains, compositeurs et historiens sont pris au piège de ses méandres meurtriers. En vingt-cinq chapitres explorant les différents aspects du copyright, l’ouvrage Dear Images : art, copyright and culture se propose d’expliquer pourquoi l’avenir du livre d’art est menacé. La plupart de ses auteurs étant juristes, l’ouvrage est proche d’un manuel de droit, et le texte est parfois difficile d’accès. Afin de connaître les limites du copyright, il faut même affronter une certaine forme d’obscurité juridique. La problématique au cœur du livre est la suivante : “Quand peut-on considérer qu’une copie n’est pas une copie ?”
À toutes époques et dans tous les pays, les artistes  se sont toujours copiés les uns les autres. L’art n’existerait pas sans une certaine dose d’imitation : un grand artiste absorbe les idées d’autrui comme une éponge et les recycle pour son propre usage. Désormais, les artistes doivent s’assurer les services d’un avocat, sachant qu’utiliser la photographie d’un autre pour un collage, ou comme point de départ d’une peinture, d’une sculpture, ou même d’une œuvre conceptuelle, peut vous conduire devant les tribunaux. Les détenteurs de droits d’auteurs pourront arguer que leur seul souci est la défense de la propriété intellectuelle de l’artiste, il demeure que leur vraie motivation est souvent l’argent. La plupart des détenteurs des droits ne sont pas des particuliers, mais de grandes entreprises commerciales : les banques d’images aux États-Unis, telles Corbis et Getty Images, ont absorbé pratiquement toutes les photothèques au monde, créant ainsi des entreprises qui rapportent près de 2 milliards de dollars (1,85 milliard d’euros) par an. Chaque auteur souhaitant utiliser l’une des images dont ils détiennent les droits ne peut le faire sans leur permission et, plus important encore, sans se soumettre à leurs tarifs, en constante augmentation. Les musées aussi bien que les ayants droit des artistes ont vite compris qu’ils tenaient là un bon filon. Les musées, sans cesse en quête de rentrées d’argent, gèrent dans cette logique le contrôle des reproductions de leurs œuvres. C’est la culture de la “boutique de musée”, celle du monde du marketing.
En tant qu’historien de l’art, et auteur d’une bonne douzaine d’ouvrages ces trente dernières années, je fais aujourd’hui les frais de ce système. Lors de la publication de mon premier livre, The Dictionary of Victorian Painters, en 1971, j’ai dû m’acquitter des droits de reproduction pour une seule œuvre, soit un paiement justifié de 5 livres sterling à la Aberdeen Art Gallery. À présent, tous les musées réclament des droits, qui varient généralement entre 25 et 100 livres (entre 38 et 150 euros), en fonction de l’usage. Les musées américains facturent davantage, souvent jusqu’à 200 ou 250 dollars. À cela il faut ajouter les droits demandés pour la location des diapositives. Si vous avez dans l’idée d’écrire un livre avec 100 ou 200 illustrations, voire plus, l’addition devient rapidement salée. Par voie de conséquence, les éditeurs finissent par ne plus commander de livres d’art. Alors, quelle est la solution ? La seule réponse envisageable serait que les musées et autres institutions n’exigent plus de droits pour les livres d’art. Ils pourraient continuer à facturer les reproductions pour les calendriers, les couvertures de livres, les jaquettes de CD, les torchons à vaisselle, les tee-shirts, tout ce qui est commercial ; mais il ne devrait plus y avoir de droits de reproduction pour les livres, ou bien à un tarif nominal unique. Personnellement, je prête toujours gratuitement des diapositives pour des livres, en échange d’un exemplaire de l’ouvrage. Si les musées ne reviennent pas dans le droit chemin, le livre d’art appartiendra bientôt au passé.

Daniel McClean et Karsten Schubert, Dear Images : art, copyright and culture, Londres, éd. par ICA et Ridinghouse, 2002, 520 p., 25 ill. couleur, environ 40 euros. ISBN 09541710202.

Séminaire sur l'édition d'art

L'association Art et Droit, présidée par Gérard Sousi, organise un séminaire sur le thème "L'édition d'art et les droits à l'image", le jeudi 3 avril à 13 h 30, à l'université du Panthéon-Assas Paris-II (salle des Conseils, 12 place du Panthéon, 75006 Paris). Les débats porteront sur l'exploitation des images dans la presse et l'édition d'art, qui est devenue de plus en plus difficile et coûteuse en raison de la multiplicité des droits (droit à l'image sur les biens et les personnes, droit à la vie privée, droit d'auteur...) et des ayants droit (auteurs, propriétaires, collectivités publiques...). Autour de professionnels de l'édition et de juristes, seront évoquées les règles applicables à l'exploitation de l'image, entre légitimité et abus. Inscription au 04 78 24 56 35. Participation aux frais : 40 euros (membres d'Art et Droit), 100 euros (non membres).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : L’édition de livres d’art en danger

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