Culte, « Les Feuilles mortes » résonne au fil de ce numéro automnal. De la chanson française au standard de jazz, il n’y a que quelques notes.
Quatre notes, juste avant que les applaudissements ne se taisent. « C’est une chanson… » Le début des « Feuilles mortes ». Cette chanson de Jacques Prévert et Joseph Kosma, les Américains, lorsqu’ils l’ont transformée en standard de jazz, en ont fait des « Automne Leaves ». Quatre notes sous les doigts d’un artiste fragilisé par la maladie. Cela faisait deux ans que Keith Jarrett – 80 ans en 2025 – avait cessé toute activité, après avoir été frappé par le « syndrome de fatigue chronique ». Le « syndrome de mort » disait-il : « Personne ne peut savoir à quel point cette maladie peut être invalidante. » Depuis des décennies, le pianiste star enchaînait les tournées, les sessions en studio, les concerts-fleuves, la route, les voyages, les interviews, les rencontres. Le corps a mis un point d’arrêt. Une pause. Pour le pianiste, cela signifiait le silence. À chaque fois qu’il tentait de poser ses doigts sur un clavier, il rechutait. Puis, parce que le corps sait parfois être résilient, il a pu y retourner. Revivre. Le 14 novembre 1998, plus inquiet encore qu’à son habitude, il remonte sur scène. Il a choisi Newark, dans le New Jersey, pour être près de chez lui, pour se tranquilliser, pour s’encourager. Il ne sait pas s’il arrivera au bout de son concert, avec ses complices de presque toujours, le contrebassiste Gary Peacock et le batteur Jack DeJohnette. C’est le bien nommé Standard Trio. Il choisit de jouer des standards de bop, pour y aller prudemment, pour ne pas trop s’absorber dans le piano. Premier morceau, tout un symbole : « The masquerade is over ». Les masques tombent. Ce n’est qu’au bout d’une demi-heure, lorsque le pianiste semble rassuré – les doigts sont là, le public jubile, la musique « fonctionne », comme il le dit lui-même et il en est tout étonné – que l’automne pointe son nez. Quatre notes. Et c’est encore un symbole, il n’y a pas que les feuilles mortes qui se ramassent à la pelle. Le concert, comme tous les concerts de Keith Jarrett, a été enregistré. Il est sorti vingt ans plus tard, sous le titre « After The Fall » : après l’automne. Après la chute.
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L’éclat des feuilles d’automne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°790 du 1 novembre 2025, avec le titre suivant : L’éclat des feuilles d’automne





