Un nouvel ouvrage sur le symbolisme entend faire le tour complet de ce mouvement artistique pluridisciplinaire de la fin du XIXe siècle.
Épineuse question que celle de la définition du symbolisme à laquelle se sont attelés deux spécialistes reconnus, Jean-David Jumeau-Lafond et Pierre Pinchon pour cette somme publiée par les éditions Citadelles & Mazenod. Rossella Froissart, Laurent Houssais et Adriana Sotropa y ont apporté leurs contributions, mettant en relief les particularités des grands principes esthétiques de ce mouvement, à la fois protéiforme et aux contours indécis, dont la force d’attraction résonne encore de nos jours.
Le livre s’ouvre sur une comparaison entre deux tableaux peints la même année, en 1886, et représentant un sujet proche, l’un par Claude Monet, une vue d’Étretat, l’autre par Arnold Böcklin, L’Île des morts. Pour les deux auteurs, cette mise en regard des deux œuvres permet, plus que tout autre discours, « d’illustrer pleinement deux modes de pensée et deux manières de peindre » qui se manifestent alors pleinement en cette fin du XIXe siècle. Se focalisant sur cet « art qui tourne le dos au réel pour explorer l’invisible et donner une forme à l’idée », l’ouvrage vise à démontrer comment, dans un monde où le progrès technique et le matérialisme triomphent, « le symbolisme constitueun ensemble de manifestations poétiques et artistiques qui invoquent le droit au rêve et le retour à l’intériorité ».
Héritiers du romantisme et du préraphaélisme, les artistes symbolistes voient l’art comme un ultime salut, et cherchent à réactiver un lien ancien entre création et sacré. Gustave Moreau, Carlos Schwabe, Odilon Redon et bien d’autres matérialisent ainsi leurs angoisses en peignant des tableaux sur des sujets ayant trait à « la naissance, la maternité, l’amour, la sexualité, la mort, le destin, la damnation ou [encore] la rédemption ».
L’art symboliste est également marqué par un retour du primat de l’allégorie ainsi que par une profonde fascination pour le Moyen Âge et la Renaissance italienne. La littérature contemporaine, en particulier les figures de Joris-Karl Huysmans, Flaubert, Baudelaire, Edgar Poe, Mallarmé, et Verlaine jouent un rôle primordial dans l’émergence et la vie de ce mouvement.
La question d’une sculpture symboliste et de ses appellations fluctuantes est par ailleurs posée. Un vaste panorama d’œuvres européennes, de Paris à Bruxelles, en passant par Athènes, Sofia et Bucarest, est ainsi brossé via des jalons thématiques et iconographiques. Le caractère éternel de la souffrance humaine se voit traité avec force et virtuosité par Rodin, George Minne, Käthe Kollwitz ou Charlotte Besnard. Le goût du mystère et de l’étrange est une autre constante de la sculpture symboliste dont Max Klinger, Fernand Khnopff et Jean Carriès se font les chantres. Parmi ces créateurs de renom, Jean Dampt incarne probablement le paroxysme de la figure de l’« artiste-artisan symboliste ». Son Chevalier Raymondin et la fée Mélusine témoigne de sa méticulosité et des aspirations portées par les sculpteurs de ce mouvement.
L’ouvrage essaye de couvrir le plus large spectre possible du courant. Un long développement faisant la part belle à Maurice Denis, Gauguin, René Lalique, mais aussi Gustav Klimt, est ainsi consacré à la décoration intérieure liée au symbolisme. Les inspirations réciproques et les rapports nourris entre art et musique sont également abordés, notamment à travers la sacralisation, par les artistes de la seconde moitié du XIXe siècle, de Beethoven et Wagner.
Venant compléter l’offre des éditions dans leur collection « L’art en mouvements », ce livre constitue plus qu’une entrée en matière pour qui voudrait en savoir plus sur le symbolisme. Par son imposant format et sa riche iconographie, l’observation des œuvres reproduites est très plaisante et incite le lecteur à scruter le corpus sélectionné par les auteurs. Cette synthèse invite aussi à explorer l’œuvre de la pléiade d’artistes mentionnés comme Armand Point, François-Rupert Carabin, George Frampton ou encore Jeanne Jacquemin. L’incertitude, le doute, mais aussi le sentiment d’angoisse portés par le symbolisme transparaissent au fil des pages, ils résonnent fortement avec les affres de notre temps ainsi qu’avec notre condition contemporaine. Cette confrontation esthétique avec l’art « fin de siècle » ne manquera probablement pas d’étreindre le lecteur, de l’interroger et peut-être même de l’inspirer.
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Le symbolisme en volume
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°655 du 9 mai 2025, avec le titre suivant : Le symbolisme en volume