Architecture

Le nouvel ordre mondial

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 5 mars 2004 - 525 mots

Entre livre et magazine, statistiques et architectures, le nouvel ouvrage de Rem Koolhaas est un pavé de papier glacé.

Une monographie d’architecte à 10 euros ! Pour y parvenir, Rem Koolhaas a vendu des pages de publicité dans un livre aux allures de magazine. Rien de bien extraordinaire pour l’architecte, familier depuis longtemps des rouages du libéralisme. L’auteur prône l’adaptation aux excès du capitalisme et de la mondialisation – cf. leur caricature – mais peut aussi être considéré comme l’un de leurs observateurs les plus cruels. Le Néerlandais rêve d’installer une antenne du Guggenheim et un magasin Prada à Lagos (Nigeria), tout en stigmatisant la politique d’immigration de la « forteresse Europe » vieillissante et en mettant en parallèle la bulle du Nasdaq et l’expansion des grands musées. À côté des habituelles statistiques de développement, il peut ainsi en aligner d’autres plus étranges mais tout aussi instructives : nombre de cosmonautes par pays, implantation des Chinatown et des magasins Ikea.
Content est un ouvrage schizophrène. S’y trouve aussi bien un entretien avec Robert Venturi (auteur de Learning form Las Vegas) qu’une rencontre avec Martha Stewart, prêtresse du bon goût américain. Car, comme Rem Koolhaas, cette somme de 544 pages s’appuie simultanément sur l’agence OMA (Office for Metropolitan Architecture) et son double, AMO, une structure créée en 1999 pour lui permettre de mener ses propres recherches et qui fait aussi office de « bureau de tendances ». À l’aise dans cet écart entre spéculation et réalisation, il propose une suite violente et politique à son best-seller S,M,L,XL (dernièrement réédité par Taschen). Car sept ans après, les choses ont changé. Au coffee table book chic conçu par Bruce Mau, succède une brique de papier glacé mise en pages par &&& avec une iconographie pop et dont le sommaire ne laisse plus Koolhaas seul maître à bord. « Produit du moment […] né de l’instabilité », Content aborde la question de l’architecture en commençant par son terrain social et économique. Un principe de réalité pour Rem Koolhaas. Couronné par le Pritzker Prize en 1999, l’architecte a été visiblement échaudé par l’abandon la même année du projet Universal, à Los Angeles. Après la restructuration du géant de l’entertainment, il a vu les limites de sa discipline. « Universal est devenu la première alerte d’un changement fondamental dans l’architecture, écrit-il, l’évaporation progressive de la faisabilité d’un projet, simplement parce que la compagnie avait muté à la vitesse d’un virus, à un rythme qu’aucune architecture ne pouvait espérer maintenir. Il y avait un conflit entre la lenteur de l’architecture et la volatilité du marché. » Autre changement paradigmatique pour Koolhaas, le développement qui n’est plus l’apanage de l’Ouest mais qui est passé à l’Est. Dans les cinquante prochaines années, la population de l’Asie va augmenter de 41 %, celle de l’Europe diminuer de 13 %. Suivant le flux, l’architecte a choisi de classer l’ensemble de ses projets par longitude, de la Californie à Pékin où il réalise actuellement le siège de la China Central Television (CCTV). Soit le tour d’une poudrière dans laquelle il faut bien essayer de planter son compas.

CONTENT, OMA-AMO/Rem Koolhaas, éditions Taschen, 544 p., 10 euros. ISBN 3-8228-3070-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : Le nouvel ordre mondial

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