La voix indolente de Billie Holiday sur les notes de George Gershwin accompagne notre numéro d’été. Les paroles de cette chanson apportent, elles, une note dissonante.
Summertime. Le temps d’articuler ces syllabes, et les voilà qui s’accrochent à la mélodie de George Gershwin : « Summertime / And the livin’ is easy. Fish are jumpin’ and the cotton is high. Your daddy’s rich. And your mammy’s good lookin’. So hush little baby, don’t you cry… » (ce qui donne à peu près en français : « C’est l’été, et on s’en fait pas. Les poissons sautent dans l’eau et le coton est haut. Ton père est riche, et ta mère élégante, alors chut, mon bébé, ne pleure pas… »). On a tous dans l’oreille une voix associée à cette berceuse extraite de Porgy and Bess, l’opéra écrit par George Gershwin au début des années 1930. Difficile de dénombrer les versions de la chanson qui a pris son envol pour devenir un standard de jazz, et même un standard au-delà du jazz. On les compte en dizaines de milliers, ça donne le tournis. On sait qu’on n’aura jamais assez d’une vie pour toutes les écouter. Alors concentrons-nous sur la matrice : la première version jazz de cette chanson enregistrée par Billie Holiday – quelques mois à peine après la création à l’opéra à Boston, puis sa reprise à Broadway – dont les accords mineurs viennent teinter de mélancolie l’apparente sérénité des paroles. Qui mieux que Billie Holiday – attitude nonchalante et blues profondément ancré dans la voix, dans la vie – pour incarner ce contraste ? « Summertime » est un instant de grâce volé à une vie de misère et de violence, une chanson douce que chante à son enfant une femme de pêcheur afro-américaine au destin tragique, lui inventant des parents bien éloignés de la réalité. Cette vie, c’est celle qu’Edwin DuBose Heyward, le co-auteur des paroles, a décrite dans Porgy, un court roman qui porte le nom d’un mendiant, noir, handicapé, vivant dans les quartiers misérables de Charleston, en Caroline du Sud, et qui tombe amoureux de Bess, à peine mieux logée. L’histoire d’amour se finira mal, comme la vie de Clara, qui chantait « Summertime ». Comme celle de Billie Holiday. Ce beau mensonge résonne tristement dans sa voix qui, malgré un accompagnement presque joyeux, nous déchire le cœur.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le moment de grâce de l’été
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°787 du 1 juillet 2025, avec le titre suivant : Le moment de grâce de l’été





