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Le Louvre, un musée dans la tourmente

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 30 août 2016 - 651 mots

Moins connue que celle du musée pendant la Seconde Guerre mondiale, l’histoire étonnante du Louvre durant la Grande Guerre est racontée pour la première fois.

L’histoire du Louvre durant la Seconde Guerre mondiale a été largement étudiée et montrée. Il suffit de penser au documentaire Illustre et inconnu. Comment Jacques Jaujard a sauvé le Louvre (lire le JdA no 422, 31 octobre 2014) ou au film Francofonia, le Louvre sous l’Occupation (lire le JdA no 445, 13 novembre 2015), qui ont récemment participé à vulgariser un sujet apte à intéresser les chercheurs. Le sort du Louvre pendant la Grande Guerre est resté quant à lui beaucoup plus confidentiel. « Sans doute faut-il y voir la prédominance, jusqu’à une époque récente, de l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale, en raison du travail mené sur le pillage des œuvres d’art et les spoliations des collections juives par l’Allemagne nazie », explique Claire Maingon.
En cette période de Centenaire, qui replace la guerre de 1914-1918 sous les projecteurs, cette historienne de l’art vient réparer l’oubli en offrant un ouvrage passionnant, qui, sur le fondement d’archives – courriers, articles de presse, documents administratifs, photographies, affiches…–, explique comment le plus grand musée français a vécu la Grande Guerre. Sous la pression incontestablement. La crainte alors est que les troupes allemandes arrivent à Paris et que les bombardements mettent le musée à feu et à sang. Aussi, à partir du 28 août 1914, les œuvres commencent à être déménagées à l’église des Jacobins de Toulouse où elles resteront en caisses pendant plusieurs années (au grand dam du public toulousain qui aurait aimé les voir exposées). Les bâtiments du Louvre sont quant à eux réquisitionnés afin de servir de dépôt et de lieu de transit pour les œuvres des musées et églises situés près des zones de conflit (Reims, Dunkerque, Amiens, Verdun…). Épargné par la guerre, le Louvre rouvrira salle après salle en 1919, sous la houlette de Paul Jamot.

Le Louvre, partie prenante du conflit
Chaque histoire de guerre a besoin d’un héros et celui choisi par Claire Maingon est sans conteste le conservateur des antiques du Louvre. Paul Jamot, qui est âgé de plus de 50 ans en 1914 et n’a pas été mobilisé, devient « l’homme de la situation » au Louvre. Il va convoyer les œuvres à Toulouse et exercer sur elles une grande surveillance durant des années. Cet « homme d’un professionnalisme irréprochable » n’a pas le potentiel romanesque d’un Jacques Jaujard, « héros » du Louvre de 39-45 qui a déménagé les œuvres contre l’ordre de Vichy, discrètement soutenu par le responsable allemand de la protection des œuvres d’art de l’ennemi, Franz von Wolff-Metternich. Mais cet ouvrage ne se veut pas un roman. Loin de se cantonner à la narration des péripéties qui ont rythmé la vie du musée pendant quatre ans, le livre montre comment le Louvre, « par l’histoire médiatisée de son exil, par l’instrumentalisation de ses chefs-d’œuvre, par les enjeux de rivalité culturelle qu’il incarne, a participé au sens de ce conflit brutal, violent, qui voit lutter les nationalismes ». L’auteure replace notamment les œuvres dans leur rôle de propagande. Le chapitre sur la Victoire de Samothrace est en cela très instructif. Il montre comment la célèbre Niké sans bras ni tête a pu être élevée – au travers d’affiches, de dessins, de monuments – au rang de « symbole d’une nation française triomphante mais blessée, meurtrie, mutilée ». Promue héritière de l’Antiquité latine, elle fut également considérée comme le symbole du « génie » de la culture française face à la « barbarie » de la culture allemande.
Avec cet ouvrage, Claire Maingon creuse le sillon de l’exposition « 1914-1918. Le patrimoine s’en va guerre », présentée récemment à la Cité de l’architecture et du patrimoine (lire le JdA no 455, 15 avril 2016) à Paris, et dont elle fut la conseillère scientifique. La manifestation a démontré comment certaines expositions parisiennes organisées en 1915, 1916 et 1917 ont instrumentalisé le patrimoine dans l’objectif d’entretenir la colère contre l’Allemagne. Lui revient l’honneur d’avoir extirpé de l’ombre ces sujets méconnus.

Le musée invisible, Le Louvre et la grande guerre (1914-1921)

Claire Maingon, coéd. Musée du Louvre Éditions/Presses universitaires de Rouen et du Havre, 261 p, 19 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°462 du 2 septembre 2016, avec le titre suivant : Le Louvre, un musée dans la tourmente

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