Allemagne - Cinéma - Musée

Documentaire

Le Kunsthistorisches Museum de Vienne côté cour

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 25 février 2015 - 783 mots

Les caméras du « Grand Musée » se sont faufilées dans les coulisses du Musée de l’histoire de l’art autrichien en pleine mutation.

Le 1er mars 2013 étaient inaugurées en grande pompe les Kunstkämmer impériales du Kunsthistorisches Museum de Vienne, résultat de plusieurs années d’un minutieux réaménagement. Partiellement fermées en 2002 pour des raisons de sécurité, ces salles abritant les plus belles pièces d’objets d’art et de curiosités collectionnées par les Habsbourg entre le XVIe et le XIXe siècle ont été repensées pour devenir l’attraction principale du musée. Dans cet esprit de promotion, la directrice Sabine Haag a autorisé un an durant la présence des équipes de Johannes Holzhausen pour le tournage d’un documentaire. Le Grand Musée a cela de réjouissant qu’il dépasse le cadre du simple témoignage sur la transformation muséographique d’un lieu. Cette visite des coulisses du plus grand musée autrichien aborde aussi ses états d’âmes : entre la vieille école des conservateurs, peu soucieux des contingences matérielles, et les jeunes loups, nourris aux méthodes de marketing, l’incompréhension et la frustration peuvent surgir.

Par son absence de commentaires en voix off et d’indication sur l’identité des personnes présentes à l’écran, Le grand musée est comparable dans sa forme au National Gallery de Frederick Wiseman sorti récemment (lire Le Journal des Arts n° 420, 3 octobre 2014). Si le documentaire sur le musée londonien relève du portrait sociologique, Johannes Holzhauser se concentre sur l’envers du décor, inconnu du grand public, où l’on peut voir le conservateur des armures Christian Beaufort-Spontin laisser des bouts de fromage et quelques noix aux corneilles à la fenêtre de son bureau. Alternant les longs plans fixes pour souligner la concentration demandée par certains travaux de restauration et une caméra virevoltante pour donner vie à l’architecture labyrinthique du musée, Johannes Holzhausen cultive un sens assumé de la mise en scène. S’il peut épouser le regard omniscient d’une petite souris, lors de réunions administratives par exemple, le réalisateur insuffle de la dramaturgie à des scènes banales, comme l’aspiration de la fourrure d’un ours blanc, dont la gueule est filmée en gros plan, ou le travelling exécuté à une vitesse folle pour suivre un employé parti chercher un document à l’imprimante située à l’autre bout du bâtiment… en trottinette. On croit même surprendre un membre de la conservation en train de jouer aux cartes sur son ordinateur, avant de s’apercevoir qu’il s’agit de tableaux en format vignette pour un projet d’accrochage ! Cette théâtralité atteint son comble dans ce plan fixe sur une salle vide au milieu de laquelle s’avance un ouvrier armé d’un piolet qui, sans crier gare, attaque le plancher.

Gros plan sur un chantier perpétuel
Banals ou cruciaux, tous les aspects de la vie du musée sont abordés : le couple de donateurs venus confier l’uniforme militaire paternel à une conservatrice aux anges, la frustration de cette même conservatrice de voir des lots lui échapper en salles de ventes, le passage en revue des pièges à mites dans la salle des carrosses, le déroulé fastidieux des étapes minutées de la cérémonie d’inauguration officielle par la directrice de la communication… En attendant d’être enfermés dans les vitrines des salles rénovées, les objets ont aussi la parole : un tableau victime d’insectes inspectés au microscope, un « navire automate » dont le mécanisme sophistiqué fait suer à grosses gouttes le restaurateur qui ne retient pas ses jurons, ou encore la célèbre Salière de Cellini, dont le remontage des pièces donne autant de fil à retordre qu’un Rubik’s Cube.

Le montage de Johannes Holzhausen est loin d’être un témoin muet. Sans équivoque est la manière dont il fait suivre une scène tendue opposant la conservatrice Sylvia Ferino et l’administrateur du musée Paul Frey sur le non-respect des budgets, avec un plan fixe sur les mains d’un conservateur manipulant des pièces de monnaies antiques. Idem pour la mine affligée qu’a du mal à dissimuler le directeur des Kunstkämmer, devant le nouveau logo des salles désormais officiellement nommées « impériales », alors qu’il avait auparavant exprimé son vœu de moderniser l’esprit des lieux. Le Grand Musée narre sans détours les tensions qui entourent la réinvention d’un musée, mais faut-il interpréter le dernier plan sur La Tour de Babel de Brueghel comme le symbole d’un monde où l’incompréhension règne ? Non, répond Johannes Holzhausen : « Le film, comme le tableau, montre un corps social vivant. La tour dans le tableau – tout comme le musée dans le film – est un chantier perpétuel. S’il peut tomber en ruine d’un côté, l’autre côté est en reconstruction. Le tableau ne dépeint pas le chaos et la chute (comme le dit la Bible), mais un processus infini : l’éternité telle que je la conçois ».

Le grand musée,

un film de Johannes Holzhausen, produit par Johannes Rosenberg, Autriche, 2014, 1h34, sortie le 4 mars.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Le Kunsthistorisches Museum de Vienne côté cour

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