Cinéma

Le journal de Warhol pop d’outre-tombe

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 28 juin 2022 - 526 mots

Vod - « Je voudrais être une machine, marmonnait Andy Warhol ; les machines ont moins de problèmes que nous.

 » La télé a exaucé son souhait. Netflix propose un immense documentaire adapté de son fameux « journal ». De 1968 à 1987, tous les jours, Andy Warhol appelait son amie Pat Hackett pour lui dicter des souvenirs, idées et remarques sur son quotidien. Pendant six épisodes, la mini-série de Netflix ressuscite le timbre mécanique si particulier du prince pop. Pat Hackett, pourtant, n’a jamais enregistré ces conversations. Si cette voix est celle d’une intelligence artificielle mêlée à celle de l’acteur Bill Irwin, elle n’en fait pas moins le charme de ce documentaire-fleuve. C’est bien cette voix qui imprime son rythme lancinant au montage, et offre à la photographie, dorée comme l’automne à Central Park, la mélancolie d’un lendemain de fête.Le film repasse les grandes étapes du destin de Warhol : son enfance à Pittsburgh, son arrivée à New York en 1949, l’invention de son propre mythe, la tentative d’assassinat dont il est victime en 1968… Mais Le Journal d’Andy Warhol nous plonge surtout dans sa vie intérieure, l’océan d’angoisses qui dort sous la glace des nuits new-yorkaises, des strass et des stars. Le réalisateur Andrew Rossi compose un gigantesque puzzle, assemblage d’archives et de reconstitutions, où Warhol hante comme un fantôme le Xanadu d’un Citizen Kane de Lexington Avenue. De l’ensemble se dégage un sentiment de profonde solitude. Warhol est un dandy, perpétuellement entouré d’une foule de collègues, d’admirateurs ou de curieux. Pourtant, trois personnes seulement paraissent compter à ses yeux : Jed Johnson, un jeune designer avec qui il a vécu douze ans, Jon Gould, producteur de la Paramount qui semble avoir été l’amour de sa vie, et enfin Jean-Michel Basquiat, avec qui il noue une relation étrange, teintée d’admiration, de désir refoulé, de paternalisme et d’opportunisme. Plus le récit avance, plus il glisse dans l’obscurité. À toute vitesse, le monde de Warhol s’éparpille dans le vent du sida. Sa voix d’outre-tombe nous confie sa peur, son rapport ambigu à la communauté gay, qu’il incarne tout en la fuyant. Il fréquente les bars de nuit. Et, le matin, on l’aperçoit sur les bancs des églises Saint-Thomas-More ou Saint-Vincent-Ferrer. La série bascule dans des teintes de vitraux pour insister sur ce point : Andy Warhol était aussi un catholique tourmenté. Il meurt en 1987, et Andrew Rossi déterre le magnifique éloge funèbre de John Richardson, cours magistral d’histoire de l’art délivré sous la voûte de la cathédrale Saint-Patrick. L’écrivain et biographe de Picasso rappelle que l’une des dernières œuvres de Warhol s’intitule : Le paradis et l’enfer ne sont qu’à un souffle.L’épilogue aura la saveur douce-amère des fins de siècle ; Jon Gould est déjà mort du sida ; Basquiat succombe à ses addictions en 1988 ; Jed Johnson disparaît dans un accident d’avion en 1996. Aucun ne connaîtra le XXIe siècle. Warhol était de ceux qui, dans un tourbillon, emportent leur monde derrière eux. Le 1er janvier 1980, il dictait ces mots à Pat Hackett : « Les années 1980 vont nous juger. Elles choisiront ceux qui survivront, sépareront ceux qui appartiennent au futur et ceux qui appartiennent au passé ».

À savoir
Le réalisateur Andrew Rossi est l’auteur de plusieurs documentaires remarquables dont « À la une du New York Times »(2011). Le producteur Ryan Murphy a notamment conçu les séries à succès « Nip/Tuck » (2003-2010) et « Glee » (2009-2015).« Le Journal d’Andy Warhol, »édité par Pat Hackett, est traduit en français par Jérôme Jacobs et Jean-Sébastien Stelhi (Grasset, 1990, épuisé).
À voir
« Le Journal d’Andy Warhol, » d’Andrew Rossi. Mini-série de six épisodes sur Netflix.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°756 du 1 juillet 2022, avec le titre suivant : Le journal de Warhol pop d’outre-tombe

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