Une enquête qui s’apparente à une histoire du goût revient sur le chromo en tant qu’imagerie artistique imprimée, et sur le terme lui-même, dépréciatif.
Professeur émérite de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et spécialiste des arts graphiques, Emmanuel Pernoud s’attache, dans ce nouvel ouvrage, à l’étude d’un sujet des plus originaux, le « chromo de bazar ». Ce terme, aux sens et usages multiples, désigne des « reproductions d’huiles sur toile – natures mortes, marines ou paysages – vendues tout encadrées dans les grands magasins et les quincailleries ».
Avec acuité et élégance, l’auteur mène une enquête approfondie sur les conditions de création de ces œuvres, leur diffusion et réception, ainsi que sur les phénomènes qu’elles produisent dans le champ de l’art, de l’esthétique et plus largement des images. Emmanuel Pernoud explore le statut singulier de ces objets imprimés, et interroge également, avec finesse, les nombreuses notions et concepts qu’ils mobilisent. L’historien de l’art se montre particulièrement sensible aux déplacements et glissements sémantiques, ainsi qu’aux ambiguïtés et non-dits qui les accompagnent. Selon lui, l’étude « de la chromo a ceci d’instructif qu’elle nous apprend comment une imagerie jugée vulgaire – bien plus : antiartistique, vendant l’art en bazar – en arrive à acquérir des titres de noblesse artistique au prix d’une construction populiste. Parallèlement à son artification par les réseaux d’avant-garde, la chromo allait bénéficier d’un nouveau statut alors que sa production allait déclinante après la Première Guerre mondiale : l’aura des choses anciennes, témoignant d’un monde disparu ».
Formé dans le jargon des ateliers d’imprimerie du XIXe siècle, le ou la chromo – le terme pouvant adopter l’un ou l’autre genre – désigne d’abord une technique, puis il devient un « mot de faiblesse », le plus souvent dépréciatif, dont Emmanuel Pernoud se fait l’historien et l’analyste. Sa force singulière et son usage ininterrompu viennent, selon lui, de son étonnante plasticité et de son flou sémantique. Il pense que « faute d’être rattaché à un objet précis, [ce mot] est suffisamment flottant pour désigner une grande variété de choses. À la semblance de ce qu’il exprime, il manque de forme, glissant du féminin au masculin et du substantif à l’adjectif ». L’auteur scrute avec attention les multiples utilisations de ce terme, depuis son apparition jusqu’à nos jours. Il retrace ainsi son cheminement « à travers la langue et [la manière dont ce vocable] fit prospérer un vaste spectre de significations, chacune d’elles jouant avec les autres pour donner à ce mot une irisation comparable à celles des petites chromos bariolées et dorées que distribuaient les grands magasins à l’époque du Bonheur des dames ».
Avec Chromo de bazar. Le tableau du pauvre, Emmanuel Pernoud invite le lecteur à s’intéresser à de nombreux impensés de l’histoire de l’art, mais également à réfléchir aux différentes catégories structurant ce domaine, ainsi qu’à leur hiérarchie. Il propose de porter un regard nouveau sur les rapports que celles-ci entretiennent entre elles, sur la manière dont elles se sont construites, et va même jusqu’à interroger les valeurs de l’art.
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Le chromo, ce tableau du pauvre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°665 du 14 novembre 2025, avec le titre suivant : Le chromo, ce tableau du pauvre





